La position de bourreau et de victime importe peu: quand la rupture survient, c’est la fin du monde, d’un monde. Dans certaines histoires, la fin a justifié les moyens et le soulagement teinte le chapitre désormais clos, malgré la tristesse. C’était l’heure, on passe à autre chose avec le coeur qui bondit de nostalgie pour la forme.
Dans d’autres contes, c’est littéralement l’apocalypse. L’univers connu explose en millions de souvenirs qui lacèrent le coeur et c’est l’hémorragie: il y a quelqu’un qui perd pour trop longtemps sa joie de vivre et qui se retient de ne pas gémir en permanence.
Quand il est question de séparation douloureuse, l’humain supporte très mal le chaos d’émotions qui l’empoigne et utilisera tous les moyens qu’il connaît pour s’y soustraire. On verra des gens enragés qui saccageront leur histoire à coup d’insultes et d’autres, pleurer jusqu’à la déshydratation, recroquevillés durant de longues heures sur la douleur de leur ventre. Il y aura ceux qui resteront de marbre et qui avanceront sans frémir, mais dont le quotidien ne sera incarné que par la sensation de vivre dans un rêve, quelques-uns tenteront de faire taire la douleur des jours dans des jouissances sans émotions.
Qu’importe la fuite, on perd un coeur, un bras, le souffle, notre appétit, l’inspiration. Les amis diront qu’ils sont présents, il y aura des remerciements sincères et la culpabilité que ça ne change rien à la peine qui afflue en permanence dans les veines. Le temps réussira à guérir là où tous les moyens artificiels auront échoués.
Il y a aussi, plus rare, le genre de rupture qui fait simplement perdre un morceau intrinsèque de soi et dont le deuil est impossible: la relation en question nous a construit, transformé et fait grandir dans notre essence profonde. Sa fin ne signifie pas seulement la solitude, elle parle de perdre un bout d’âme. Les jours passent et les yeux sont désormais différents, les amis soulignent à quel point on est raisonnable et mature, le rire revient et les rêves reprennent quelques éclats; tout est bouleversé cependant, le décor n’est plus le même, la lumière est plus terne et les couleurs, affadies.
Il y a des déchirements qui surpassent la peine, la colère, l’orgueil: dans certains contes, on laisse une vérité brisée, la certitude d’avoir vécu notre définition parfaite de l’amour, des illusions dont on a arraché la magie et où l’on abandonne la volonté d’en chercher qui seraient similaires. Au-delà du désespoir d’une telle situation, il y a la beauté infinie d’avoir pu toucher le sublime et c’est elle qui sera enlacée nuit après nuit. Les amis acclameront une résignation confondue avec une force émotionnelle, il y aura des tapes dans le dos et des propositions de rendez-vous, l’achat de nouveaux objets pour célébrer le coeur en apparence guéri. Dans ce genre de fin, on redresse la tête et on continue en ravalant sa tristesse parce que la réalité dépasse la fiction: personne n’aura la chance d’en mourir, mieux vaut faire avec. Les pieds se feront aller, on tournera le dos au passé, on tentera de nouvelles routes, quelques fois même en sifflant, et si en apparence on se tiendra encore debout et droit, on aura éternellement un pouls boiteux et l’envie de marcher à genoux avec tous les sens amputés. On sera tenté de croire les amis qui prétendent que l’oubli viendra et qu’on idéalise notre amour passé: on aura un sourire feint et on se mentira le temps de faire quelques pas de plus en avant. Devant le miroir pourtant, on cherchera longtemps l’optimisme sans le trouver et faute de mieux, on dira qu’on est devenu réaliste.
Personne ne meurt d’amour, il y aura toujours du soleil après l’orage, mais peut-être que malgré la laideur qu’elles impliquaient, certaines histoires étaient destinées à ne jamais avoir de fin.
[Crédit photo: Isabelle Levesque]