Pillow talk et dragons

Ça fait des heures que je dors. Lui, il est resté debout jusqu’à 3 h du matin avec son nouveau jeu vidéo. Il rentre dans la chambre et me réveille à moitié.

– T’étais où?

Je lui pose la question toute confuse, la tête encore blottie et les mots déformés par mon oreiller.

Les quelques premières fois que c’est arrivé, il me répondait simplement « le salon », trouvant ma question un peu étrange mais n’ayant pas tout à fait compris que je n’étais pas éveillée. Ensuite, il s’est mis à déconner.

 – Au Moyen Âge, dit-il.

Il s’installe à côté de moi et je tire violemment les couvertures en l’accusant mollement de les avoir volées. Je le sens rire dans le noir; mes petites colères de gamine l’ont toujours charmé.

– T’as-tu tué des méchants?

– Pis plein d’autres affaires aussi.

– T’as pas tué de dragons, j’espère?

– Bin non. De toute façon, je ne serais pas capable.

– Moi, j’ai toujours trouvé que les dragons sont incompris. C’est comme des requins, il ne faut pas les tuer. Ce sont nos amis.

Là, il commence à réaliser que je déparle, que nos chuchotements nocturnes me sembleront vagues et insensés demain matin. Je lui lance des questions et des opinions sur tout et rien, parfois en français beaucoup trop rapide pour son oreille british; parfois en un anglais à peine cohérent, avec des mots qui manquent ou se perdent sous le duvet.

Mais attends, j’ai une question importante à lui poser.

– Eille, eille, eille ! Tsé là, les dauphins pis les baleines à l’affaire avec les baleines pis les dauphins là?

– Euhh…la mer?

– Non ! T’es con. T’es super con. Tsé là, où il faut qu’ils sautent pour le monde pis toute. Les dauphins, tsé?

– Sea World, ma chérie.

– C’est ça – Sea patente. Bin qu’est ce qui arrive s’ils ont besoin d’aller à la salle de bain pendant le spectacle? Ils ont-tu le droit? Ils peuvent pas faire ça devant tout le monde, tsé. Ils font quoi?

Je sens le matelas vibrer alors qu’il essaye de retenir un fou rire et de comprendre où je m’en vais avec tout ça. Je suis endormie et indignée – ma réflexion me semble parfaitement logique. Je me relance.

– C’est pas drôle, tsé. Ils devraient avoir le droit d’aller à la salle de bain quand ils veulent. C’est vraiment pas juste. C’est méchant, pourquoi t’es méchant? Pourquoi tu veux pas qu’ils aient à la salle de bain? T’es comme un dragon, t’es comme un pas fin. Tu comprends rien.

Je lui tourne le dos, en baboune incohérente et insensée de petite fille offusquée. Je tire les couvertes de mon côté, ma grande vengeance.

– Tu comprends pas, toi. Moi j’comprends. J’les comprends, les dragons. Pis les dauphins aussi. J’te gage que t’as tué des dragons. T’es pas fin, moi j’sais plus tsé…

Il se colle à moi et vient me tenir en petite cuillère. Je sens qu’il pourrait me protéger de tous les dragons du monde, je le sais même. Je sens ses abdos qui se contractent de rire contre mon dos et j’ai déjà oublié pourquoi j’étais si indignée. Il me flatte les cheveux et enfouit son nez dans mon cou.

– Je le sais, ma belle. Je ne tuerai plus jamais de dragons, promis. C’est nos amis. Les dauphins aussi, t’inquiètes. On va les protéger.

Il me donne quelques petits becs sur l’épaule avant de réaliser que je suis déjà partie, complètement endormie. Notre petit délire nocturne est fini. Demain matin, il me racontera tout et on en rira comme de petits gamins sous les draps.

Mais au fond… j’y crois encore un peu.

Lorsque le temps viendra de me défendre contre les requins, les dauphins et les dragons, je sais qu’il sera là.

 

Source de l’image: Sleepy par Lianne Viau

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *