Pomme de reinette

Dans la vie, même si je ne veux pas, je juge.

Et je sais que ça veut dire que je serai jugée à mon tour. Mais c’est plus fort que moi. Tout le monde y passe, je n’ai pas de préférences. Ceci étant dit, je m’acharne beaucoup moins sur les personnes que j’aime. Ces élus sont sauvés de tout, protégés d’entre tous, saints. Sauf que cette semaine, j’ai jugé mon mari.

C’est qu’il a fait une cure de pommes.

Il n’a mangé que des pommes, pendant quatre jours. Des pommes coupées, pelées, râpées, en dés, rouges, vertes, jaunes, mauves. Pu de café, de sucre, de pizza ni même de légumes. Juste des pommes. Pour désintoxiquer son système, qu’il disait.

Sauf que nous, là, on mange juste du bio même si c’est plus cher, juste des céréales bonnes pour la santé même si des fois je m’ennuie des Froot Loops, presque pas de viande parce que ça sent la mort dans la maison, on ne boit pas de lait – es-tu malade, on est la seule espèce qui boit le lait d’un autre animal, ark, en plus c’est full difficile à digérer pis ça donne des boutons.

La première journée, il trouvait ça dur, mon homme. Mal de tête parce que pas de café, faim parce que juste des pommes. Et moi, je ne mangeais pas grand-chose parce que je n’avais pas réalisé avant la deuxième journée que je devais m’occuper de mes repas toute seule.

Il est sorti vivant de sa cure, les joues colorées et le corps propre en dedans. Il avait plein d’énergie, il avait eu du temps pour lire, pour relaxer aussi.

J’étais fatiguée, je dormais mal, je buvais du vin pour rien. J’avais l’air trash en titi à côté de lui.

La dernière journée de sa cure, il avait même l’air déçu de recommencer à manger normalement, tellement il avait été heureux, en mangeant juste des pommes.

Et j’ai allumé.

J’ai compris que je l’avais jugé parce que moi, je ne serais jamais game de faire une cure. Parce que je n’avais pas la moitié de son courage et même pas le quart de sa détermination. Parce que j’avais arrêté de boire de l’alcool pendant un mois dans ma vie, et que j’en garde des souvenirs ben ordinaires.

Parce que moi aussi, je meurs d’envie de faire une pause. Parce que moi aussi, je veux des joues roses.

[Source de l’image : Reine des reinettes par Wilhelm Lauche]