Les signes

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Te souviens-tu de notre première rencontre? C’était lors d’une séance photo organisée par ta copine de l’époque. Tu semblais avoir le cœur solitaire et je me demandais comment un homme amoureux pouvait sembler si malheureux. Nous n’avons pas échangé beaucoup de paroles lors de cette journée.

« Ah, tu aimes la philo? Oui vraiment. »

sont probablement les seuls mots que l’on ait verbalisés. Quelques jours plus tard, tu m’as ajouté sur Facebook. Tu me parlais de temps à autre, mais ça relevait plus du fait divers que de la première page. De toute manière, nous n’étions pas libres. Deux ans plus tard, la vie a voulu qu’on se croise à nouveau sur une rue enneigée de fin janvier. J’étais avec mon copain du moment. Tu as voulu nous contourner, mais on prenait trop de place sur le trottoir. Il a fallu que tu me lâches un timide « Scuse-moi », et c’est à ce moment que nos regards se sont entrecroisés. Tu avais tellement changé que je te reconnaissais à peine. Je t’ai donc souri pour te laisser passer en me demandant si c’était réellement toi.

Tu m’as écris trois semaines plus tard pour me dire que tu étais fraîchement inscrit dans un centre de conditionnement, et que tu avais cru voir une fille qui aurait pu être moi. Le seul point en commun que j’avais avec cette fille était la couleur de ses cheveux, mais bon. Je t’ai demandé où était situé ton centre et tu m’as dit qu’il se situait sur la rue de la Visitation, soit la rue où j’habitais. Ha! Drôle de hasard, tout de même. Je t’ai demandé si c’était toi que j’avais croisé dans la rue l’autre jour, tu m’as dit oui.

On se parlait plus souvent. On réalisait l’étendue des points communs qui nous unissaient. Notre cœur semblait être pris dans un mois de juillet, comme si c’était le mois de notre anniversaire en plein hiver. En contrepartie, on se parlait sans se voir; on vivait des trucs compliqués à gérer. Nos vies respectives se résumaient pas mal à des in and out, une alternance entre des ruptures et des réconciliations. Le matin de la Saint-Valentin, je t’ai fait part de ma volonté de cesser de t’écrire, car c’était un hangover pour mon cœur chaque fois et j’étais tannée de vomir par en-dedans. Tu m’as dit que cela t’attristait énormément. Cette journée-là, celle du 14 février, j’ai pris le métro. Lorsque les portes du wagon se sont ouvertes, je suis entrée, j’ai accoté ma tête sur le poteau, je l’ai levée, et tu étais là. Nous nous sommes regardés avec le regard vide de ceux vivant un choc. Encore une fois, la vie faisait en sorte que l’on se croise par hasard. Et pas n’importe quel hasard, on s’entend. Quelles étaient les chances, parmi toutes les stations, toutes les heures et tous les trajets? C’était un signe beaucoup trop grand pour ne pas en tenir compte.

Nous avons tout de même coupé les ponts. Cependant, ma relation s’est terminée quelques jours plus tard, et on a commencé à s’écrire plus que souvent.  Je n’arrivais plus à penser. La seule phrase qui spinnait en boucle dans ma tête était : « QUELLES ÉTAIENT LES CHANCES? »

Je n’ai pas été élevée avec des films de princesses, mais je ressentais cette espèce de magie de conte de fée. Je trouvais ça tellement beau. Plus on apprenait à se connaître le cœur, plus j’avais la certitude que c’était « toi ». Nous étions identiques jusque dans nos tics. Je veux dire, quel humain lève son bras dans les airs sans raison alors qu’il est couché dans son lit? Toi et moi. Qui écrit de la poésie en 2014? Toi et moi. Qui n’aime pas les fruits chauds ou les tomates cuites? Toi et moi. Une fois, tu avais même fait un détour-surprise pour m’apporter mes bonbons favoris avant d’aller travailler. J’avais la certitude infaillible en ce qui nous concernait. J’avais 8 ans.

Du jour au lendemain, les délais de 5h00 avant de répondre sont devenus la norme, et ça, c’est si tu me répondais. Du jour au lendemain, la seule réalité dans laquelle on se côtoyait était celle de Facebook. Tu annulais, et ça c’est lorsque tu prenais la peine de m’en aviser. Disons que j’ai eu droit à un cours de patience 101, ce qui m’est grandement profitable aujourd’hui (merci). Chaque fois, je me disais que tu n’avais peut-être pas reçu mon texto, que tu faisais une sieste ou que tu n’avais plus de piles. Les excuses qu’on se fait croire dans ces moments-là! Je me souviens d’un soir où on devait se voir. J’avais attendu toute la soirée, jusqu’à me tordre le ventre de détresse. Pas de nouvelles depuis midi. Je me disais que tu avais peut-être eu un accident. Mais non. Tu m’as boité un maigre     « ouin scuse pour hier » le lendemain à midi, sans explication. [Lire ça avec du recul me fait juste dire : « Voir que t’as pas allumé! T’es plus brillante que ça d’habitude », même si l’intelligence n’a rien à voir avec ça.]

Tu m’as présenté à ta famille. Considérant le fait que je n’ai pratiquement jamais présenté quelqu’un à mes parents, je me disais que c’était sérieux, toi et moi, et que c’était ce que tu voulais. Mais non, nous n’étions pas ce que tu voulais.

Plus ça allait, moins t’avais le sourire facile. Tu me jugeais sur mille choses, tu me faisais sentir mal jusque dans les moindres recoins de mon âme. J’avais l’impression de devoir avoir honte. Tu me décevais, car je réalisais que tu étais loin d’être la personne libre que je croyais que tu étais. Libre de jugements, libre de conventions, libre de l’opinion facile. T’étais pas libre, t’étais enraciné.

Je m’accrochais à cette histoire comme à une bouée de sauvetage en pleine tempête, car je voulais sauver ce qu’on avait. Jusqu’au moment où j’ai réalisé qu’on n’avait rien, et qu’il n’y avait rien à sauver.

Nous avons cessé de nous voir. Je ne mentirai pas, je pensais à nous souvent. Je faisais l’inventaire de tous ces signes qui nous liaient et je trouvais ça bête de les ignorer. Ma mère m’a même pratiquement obligé à t’écrire. « En amour, y’a pas d’orgueil. » Si tu savais à quel point on se trompait, maman. Nous nous sommes revus. Entre temps, j’avais déménagé. Tu m’as alors appris que je vivais à … 3 minutes à pied de l’endroit où tu travaillais. N’importe quoi! Encore une fois, la magie s’était réinstallée au creux de mon ventre. Malheureusement, rien n’avait changé. C’est là que j’ai décidé que c’était la dernière fois de toutes ces premières fois.

T’es parti en vacances. Tu m’écrivais, j’étais distante. Tu avais le « lol » facile, moi j’avais l’exaspération facile. À ton retour, j’ai eu droit à un : « Chu là. » J’ai ri de perplexité. Comme si j’avais été là, à attendre que tu reviennes. On ne s’est jamais revus ni même parlés, et on ne s’est jamais croisés à nouveau.

Ça m’a fait du bien. J’étais en paix avec cette histoire qui faisait maintenant parti du passé, mais c’était une paix tristounette. Celle qui a peur de ne jamais retrouver cette incandescence-là. La peur de l’amour beige. Une peur qui avait peur de ne plus jamais rencontrer une personne avec qui fitter ses morceaux de puzzle aussi bien [Quoi que force est de constater que les pièces du casse-tête étaient loin de s’emboîter]. Je m’étais trompée, même si j’avais cru pouvoir avoir la certitude fiable à 100%. Il aurait fallu enlever le 1 pour avoir l’heure juste. Un double zéro.

Hier, je suis allée dans un party. J’ai rencontré des gens, j’ai parlé à des gens, et plus particulièrement à une fille venant de mon coin, qui a étudié en études littéraires, programme que je débute à l’hiver. Elle m’a dit :

« Tu vas voir, tu vas rencontrer plein de gens spéciaux. Des artistes, des poètes…

Connais-tu […], car il étudiait là-dedans lui aussi.

Heu… Oui. Tu le voyais?

Oui. De février à août, avec des pauses on s’entend, mais c’était  « ça ».

Heuuu quoi? Moi aussi! »

C’est là que j’ai réalisé que s’il y avait un signe dont je devais tenir compte, c’était celui-là. Ça, ça là, ça en est un, un signe, un vrai. Le signe qu’on s’était faites flouées et qu’on s’était attachées le cœur à quelqu’un qui jouait avec nous comme on joue avec des marionnettes derrière un théâtre. Nous avions la confirmation des doutes que nous avions ressentit. Ça a fait du bien, pour toutes ces soirées sans réponses, ces moments passés dans le spleen, ces instants à se demander pourquoi. Pour toutes ces fois où il nous a dit : « Est-ce que t’as vu quelqu’un quand nous étions en pause? Parce que moi non. »

Disons que j’ai eu le « OMG » pas mal facile, hier soir. Rencontrer une fille ayant vécu le spécial que j’avais cru si spécial!, à la même période, et avec la même personne. Je n’en revenais pas. Nous avons passé par une gamme d’émotions assez record, allant de « Esti que j’ai été conne » à « J’en reviens pas qu’on se rencontre ici ». Parce que quelles étaient les chances que ça arrive?

[Source de l’image : Alone. par Syed Nabil Aljunid]