Bonheur post-rupture

J’ai vu celui qui a été mon mari charmer quelqu’un d’autre. Parce qu’il est un charmeur naturel et que quelque part dans les années tumultueuses de notre amour, je l’avais oublié. Pas de jalousie, de peur ou de comparaison. Juste un mélange de nostalgie, de bonheur et d’admiration pour cet homme qui sera, pour toujours, un être d’exception.

La séparation a été déchirante. Nous avons pleuré. Il m’arrive encore de sentir mon coeur se coincer quand on se croise, trop souvent pour les amoureux en deuil, dans notre village. Aucune distance pour guérir en paix, aucun répit pour les souvenirs. Devoir dire au revoir à quelqu’un quand il est là, devant nous, et qu’il n’a nulle part où aller. C’est un défi que nous relevons un peu plus chaque jour.

Je pensais ne plus avoir à vivre de ruptures, jamais. Le mariage donne cette illusion. Une belle brume qui efface tous les souvenirs de peines d’amour d’adolescente, tous les soirs à pleurer avec sa meilleure amie, tous les moments dans la douche où on se demande ce qu’il reste de notre misérable vie. Je pensais que je n’aurais plus jamais à vivre ça, naïvement. J’ai donc attaqué cette rupture en lionne. Je ne voulais pas être détruite. Je ne voulais pas avoir 16 ans encore.

J’ai souri quand j’ai réalisé que j’avais été niaiseuse. Impossible d’avoir 16 ans à nouveau. Impossible d’être aux prises avec les mêmes réactions que dans ce temps-là… Alors je me suis laissée bercer par ma rupture. J’ai pleuré quand il le fallait, j’ai marché longtemps, j’ai été en voyage, j’ai mangé trop de mon repas préféré, j’ai bu du vin en faisant des projets que j’ai défaits en buvant plus de vin, le soir d’après. J’ai compris que tout irait bien parce que j’étais là, moi, pour me ramasser à la petite cuillère, s’il le fallait. Dans cette confiance-là, je n’ai même pas eu besoin de le faire. Tous les morceaux du casse-tête de mon corps se sont tenus bien ensemble, comme des petites abeilles affairées, concentrées, fiables. Que j’aime mon corps quand il ne me laisse pas tomber.

Et parce que je suis la fille la plus chanceuse du monde entier, je me suis reconnue. Il y a longtemps que je ne m’étais pas revue. Je me fixe, dans le miroir. Dans les photos qu’il prend de moi. Dans ses yeux, à lui. Un nouvel ami, la nouvelle poésie de mes matins. J’ai l’impression d’être une princesse à qui on fait un café, dès son réveil, en la regardant lire, souriante; en s’assurant qu’elle a bien dormi, qu’elle n’a besoin de rien. Comme elle est jolie, il faut le lui dire! Étrange impression de vivre quelque chose de sacré, qu’il faudra bientôt se mettre à croire au destin, au hasard, à la magie des coïncidences. Ne pas savoir ce qui s’en vient et pourtant, ne pas avoir peur. Choisir de ne plus avoir peur, de calmer les voix qui crient les erreurs du passé, l’égoïsme de ma nostalgie qui me supplie de ne pas déjà inventer de nouveaux souvenirs, de continuer, au moins un peu, à pleurer la relation la plus marquante de ma vie.

Il me dit que la vie sert à me rendre heureuse. Le bonheur comme fonction première, et non comme objectif. Le but de la vie ne serait donc pas de devenir heureux, mais de réaliser qu’on l’est déjà, de manière naturelle, fondatrice, organique.

Tsé.

 

[Source de l’image: Los Altos, CA par Nate Borchers]

 

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