Être exclusif

« Je… j’ai envie d’être exclusif. »

Je ne croyais pas arriver à prononcer ces mots. Quelques jours plus tôt, nous étions dans son salon à faire une mise au point. C’est que cette fille est importante pour moi. On commence à peine à se connaître. Elle est drôle. Intelligente. Sensible. Et je n’avais pas encore eu accès à cette sensibilité. Nous avons eu de ces débuts de relation qui commencent avec un ancrage profond et fulgurant. Après une plongée subite en eaux profondes, on remonte à la surface tout aussi vivement que notre premier voyage.

Et en surface, c’est le jeu des masques, le paraître, on se protège et ce qui nous a d’abord éclairé chez l’autre se réfugie au plus profond de nous. Notre sensibilité, nos faiblesses, nos vulnérabilités, nos réels sentiments. Ils s’enfoncent tant et tant qu’ils nous deviennent à nous-même étrangers. Rien n’est pris au sérieux, et on montre nos pires visages. Et l’autre, là où on croit qu’il va fuir, se rapproche inéluctablement. Merde. Pourquoi elle ne prend pas peur? Pourquoi reste-t-elle? Je n’en vaux pas la peine! Voyons, fuis! Et pourtant non… elle reste. De bon cœur.

C’est que cette fille-là, c’est celle où je suis parti en balloune. Ça l’air que mon intensité l’a pas fait fuir, au contraire. Pas besoin de raconter les détails des premières rencontres, ce n’est pas ça l’important. L’important, c’est que dès notre première rencontre en tête-à-tête, je lui ai ouvertement dévoilé ma nature.

C’est au sommet d’une montagne, couverts par le calme vertige de l’horizon, que nous nous sommes embrassés pour la première fois. Un baiser timide. Petit. Tendre. Frissonnant. C’est qu’elle n’avait jamais aimé avant. Et elle m’intriguait au plus haut point. Je ne pouvais faire autrement que de lui avouer ma nature. Sans être un coureur de jupons, je reste un homme à femmes. Je vis de tendresse et d’œillades, de volupté féminine, d’un rêve de femme à l’autre. Je sais apprécier les subtilités et je suis assez habile dans la danse des charmes et des désirs. C’est pourquoi une fille n’ayant jamais aimé me désarme autant. Chaque geste posé devient alors le premier. Sa seule présence me renvoie à moi-même, m’oblige à prendre conscience de chacun de mes agissements, de chacun de mes déploiements. Je suis inapte. Je suis maladroit. Je suis, dans ses yeux à elle, neuf. Cette caresse sur sa joue que j’ai déjà déposée sur une autre joue, puis une autre encore, se vide momentanément de son passé et devient nouvelle et unique. C’est que cette caresse ne s’est jamais posée sur sa joue à elle. Ainsi que mes regards, mes mains sur son corps, ma peau contre sa peau. Douce, sa peau. Plus douce que toutes les autres. Parce que c’est sa peau, à elle. Mes lèvres embrassées aux siennes. Ses lèvres incertaines, ses lèvres en apprentissage. Ses caresses à elle, timides, pleines du courage des premières fois. Cette fille est d’un courage sans fin. Se livrer ainsi, un agneau dans la gueule du loup, que dis-je, non! Un lion sous un manteau de laine blanche apparaissant fier à la meute minuscule couvant le petit garçon nu que je suis.

Et c’est que malgré son inexpérience, elle possède une sagesse surprenante. Sa façon de réfléchir le monde, sa maturité, sa lucidité sont autant de qualités qui me désarment et me charment. Sa simple présence me met à nu. Et avec elle, je sais qu’on peut se parler. Se confier. Sans jugement. Il ne s’agit pas ici de s’exprimer sans filtres. Je crois qu’il faut de la force et de la conscience pour exprimer ce qu’on ressent vraiment. Pour arriver à dégager la vérité chuchotante au travers des scénarios dramatiques bruyants.

C’est donc après une conversation que nous tentions tant bien que mal d’éviter qu’il nous fallut faire le point. Elle venait d’apprendre qu’elle n’était pas la seule avec qui je partageais mon intimité, et cette perspective la tourmentait. De mon côté, je n’étais pas prêt à faire une si grande concession. Il y avait un écueil. Pourtant, je n’arrivais tout simplement pas à me faire à l’idée que nos chemins allaient se séparer. J’avais le sentiment que nous avions encore trop de choses à vivre ensemble, à partager, à s’apprendre. C’est donc sur un genre de flou artistique que nous nous sommes laissés après ladite conversation. Dans ma tête, on continuait à se voir et peut-être par déni, comme si de rien n’était. Mais quelques jours ont passé, et une idée a pris forme en moi, bien malgré moi. Celle d’accepter de poursuivre notre exploration mutuelle en ces termes. J’allais être exclusif. Nous allions être exclusifs. Oui pour elle, mais aussi pour moi. Par respect. Et après m’être bien rendu compte qu’elle n’était pas comme les autres, que contrairement à mes récentes relations, elle était ouverte et prête à m’accueillir dans sa vie, la perspective de me lancer dans le vide ne m’effrayait plus autant. C’est même plutôt devenu envisageable. Supportable. Évident.

Alors voilà. Me voici « exclusif ». Et pour une première fois de ma vie, au lieu de ressentir des chaînes me condamner, de voir se dessiner les barreaux d’une prison où je me serais moi-même volontiers enfermé, je sens un monde s’ouvrir à moi. Une liberté nouvelle. Un envol imminent. Je nous souhaite donc à tous deux, un extraordinaire voyage.

 

[Source de l’image: Unsplash]

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