Je suis son amant

Je suis chez moi, tranquille, assis devant la télévision, quand j’entends le son très distinct de la vibration de mon téléphone cellulaire. Je viens de recevoir un texto. Petit pincement d’excitation au cœur. Je me sors des limbes et m’étire vers mon cellulaire avec l’espoir que ce ne soit pas encore ma mère qui me texte « juste pour prendre des nouvelles ». Ce n’est pas ma mère.

« J’arrive, j’ai une heure. »

Des frissons de plaisir et d’impatience me traversent instantanément le corps. Elle arrive. Et ça va barder. Tout dans mon appartement retient son souffle. Aucun racoin ici n’aura la chance d’être épargné. Ni aucun territoire sur nos corps enflammés.

Oui, c’est interdit. Oui, ça a ce côté pimenté que les relations sans histoire n’ont pas. Ou en tout cas, pas de la même manière. Oui, je me joins à la liste perpétuelle des amants infidèles. Un autre. Juste un autre. Banalement.

J’ai cru naïvement que ce genre d’aventure n’était pas pour moi. Longtemps, j’ai jugé. Je me suis pompeusement drapé du lustre de la vertu et de la fidélité. J’étais au-dessus de ça, moi. Je pouvais condamner avec aisance et sans remords. Mais quand cette fille m’est débarquée dans la face, je n’y pouvais absolument rien. Absolument rien d’autre que de me laisser faire. Je ne pouvais pas vraiment choisir les aboutissements de cette rencontre, le choix s’est imposé. Cette rencontre avait été écrite d’avance en quelque part dans le cosmos, et personne ne nous avait demandé notre avis.

***

C’est soir de première. Tapis rouge et flashs de photos. Mon cœur bat quatre fois plus fort qu’à son habitude, et mon torse est tellement gonflé par la fierté que mes pieds ne touchent presque plus le sol. Ma confiance personnelle me coule par tous les pores de peau. Je suis l’immense roi de mon petit monde. J’ai vu mon nom en grosses lettres au générique du film et je me dis que j’ai ben dû réussir à me rendre quelque part finalement, en ce bas monde.

C’est donc empreint d’allégresse qu’avec les artisans du film je me rends au bar d’à côté pour fêter cette réussite. Accoudé au bar, je commande mon deuxième scotch hors de prix sur le bras de la production quand, en jetant un regard par-dessus mon épaule, je l’aperçois, pour la première fois de ma vie. Cette vision va alors s’imprimer au plus profond de ma mémoire à tout jamais. Avec toute sa fulgurance. Des pupilles qui se dilatent instantanément, des yeux qui s’éclairent comme des phares en pleine nuit tempétueuse, un sourire à vous fendre en quatre, une poitrine soulevée, offerte, généreuse, l’annonce d’une récolte après les grandes moussons. Elle flotte littéralement. C’est seulement après que le temps ait repris son souffle que je commence à sentir avec quelle force les muscles de mes joues élargissent mon sourire. J’ai mal à la face et déjà, nous nous dévorons tout entiers en pensée. La violence de ce désir est immédiatement fatale. Quelque chose en moi prend le relais. Je ne pense plus à ce que je fais ou dis, je me vois faire et dire. Avec une aisance terrifiante. Je sais. Elle sait. Nous ne sortirons pas de cette histoire sans égratignures.

***

L’escalier extérieur de chez la productrice grince dangereusement. Notre peau brûle sous nos corps incandescents. Nos mains. Nos bouches. Nos langues. Nos odeurs. Notre salive. On se croque. On se sable. On s’arrache. C’est un carnage. C’est un chantier de construction. C’est un champ de bataille. Sur son annulaire gauche, un rayon de lune étincelle sur le petit diamant de sa bague de fiançailles. Les passants nous regardent les yeux ronds. On est un film de porn à aire ouverte. On se fout éperdument des passants. Embarque dans un taxi. Nous sommes chez elle. Chez eux. Il peut arriver à n’importe quel moment. Merde. Mais qu’est-ce que je suis en train de faire, bon sang?

L’interdit. Le danger. L’urgence.

Dans leur entrée, sur leur divan, dans le cadre de la porte de leur chambre à coucher, sur leur plancher, leur table de cuisine, leurs comptoirs. Une fois le séisme passé, cet étrange moment de douceur. Au-dessus du lavabo, je suis derrière elle, mes bras l’englobent, et elle me lave les mains avec une tendresse qui m’était alors inconnue à ce jour. Une tendresse faisant un étrange contraste avec toute la bestialité que nous venons de déployer. Puis je me sauve comme un voleur dans la nuit montréalaise.

***

Ça sonne à la porte de mon appartement. Quand j’aurai ouvert cette porte, la prochaine heure aura passé en un battement de cils. Déjà, on est entremêlés et à travers nos frenchs goulûment échangés : « C’est bon j’ai une heure, il pense que je suis au yoga. » C’est cliché. C’est désolant. C’est pathétique. C’est extraordinairement tordu. Et plus touffu que ça. La suite au prochain billet…

[Source de l’image: Picjumbo]

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