On n’oublie jamais vraiment

Ma grand-mère, c’est ma marraine. Mais c’est pas juste ma marraine, c’est aussi un genre de fée. Une fée-marraine. (Elle n’a jamais rien transformé en citrouille, mais on parle quand même de magie ici! Pis j’suis pas mal sûr qu’elle a des ailes cachées.) Même si parfois elle ne comprend pas tous mes déboires amoureux, mes questionnements, qu’elle trouve que ça a l’air ben compliqué mes histoires, elle est là, à m’écouter, me conseiller, m’aimer assez pour me dire ce qu’elle pense et pour me consoler, quand je n’y arrive plus tout seul, le cœur à genoux dans la garnotte.

C’est que ma grand-mère, ça fait quinze ans qu’un beau jour normal comme les autres, elle s’est fait dire qu’elle en avait pour encore maximum deux ans à vivre. C’est comme pas ben ben long ça, deux ans. Et à l’époque, j’étais trop jeune pour vraiment comprendre ce que ça impliquait. D’ailleurs, je ne suis pas certain que je vais jamais vraiment comprendre ce que ça implique de voir quelqu’un qu’on aime mourir. C’est peut-être du déni, mais je sais surtout que ça fait ben mal… et qu’on doit apprendre à vivre avec… de toute façon, c’est un autre sujet et à ce que je sache elle n’est pas morte, faque aussi ben profiter qu’elle soit là que de m’imaginer la vie une fois qu’elle sera partie, ça viendra bien assez tôt.

J’en étais à lui expliquer que j’essayais de transplanter mon cœur en tentant entre autres d’oublier celle que j’aimais à sens unique. Elle m’écoutait sagement quand dans un moment de silence partagé, elle me glisse : « Tu sais, je pense qu’on oublie jamais vraiment… » C’est qu’aujourd’hui, elle habite seule, depuis maintenant un bon moment. Mon grand-père est toujours vivant, mais je ne les ai jamais connus ensemble. Ma grand-mère a eu un autre copain par la suite et mon grand-père une autre femme, mais aujourd’hui, ils sont tous les deux seuls.

« Tu sais, il m’arrive encore parfois de me remémorer les bons moments avec ton grand-père et je m’imagine l’appeler, lui demander de revenir, mais une fois les bons souvenirs consommés, les plus noirs reviennent… et je me rappelle pourquoi il n’est plus dans ma vie. »

Je repensais au billet que j’ai écrit, disant que le temps arrange les choses et, le constat de ma grand-mère me laisse encore perplexe. Je sais qu’elle ne passe pas ses journées à ruminer cette histoire, loin de là, mais de savoir que ça lui traverse encore l’esprit par moments de solitude me questionne.

Peut-on réellement passer à autre chose? Que reste-t-il des résidus de nos amours passées? Combien de temps restent-ils incrustés dans nos mémoires? Quels effets exercent-ils sur nous dans le présent? Les cadavres de nos défuntes amours pèsent-ils encore dans le cimetière de nos mémoires enfouies ou y a-t-il quelques lumières qui flottent au plus profond de nous, de petits éclairs d’amour encapsulés, virevoltants et vibrants au rythme des passions qui nous ont traversés?

Ma réponse au commentaire de ma grand-mère a été de lui demander ce qui l’empêchait d’ouvrir son cœur à nouveau, de laisser une place à une de ces nouvelles petites lumières. Je l’ai vue s’abîmer, puiser une kyrielle d’excuses et s’interrompre en cours de plongée pour réellement miroiter la possibilité de partager sa vie avec quelqu’un une autre fois. Et ce que j’ai vu m’a émerveillé. Juste à la pensée de tomber amoureuse, j’avais devant les yeux non plus ma grand-mère, mais une petite fille rougissante, légère, prise d’un plaisir vertigineux, comme si on lui avait enfin permis de sortir voir la lumière du jour. Puis au moment où elle allait former cette vision en mots, qui commençaient déjà à se bousculer à ses lèvres, son regard s’en est allé au loin, une ombre est passée, et elle a changé de sujet.

Mais je connais ma grand-mère… elle me reviendra avec ça. Elle n’en est pas une à se défiler…

 

[Source de l’image: Jean-François Pronovost]

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