S’adapter à la jungle urbaine

Café rue Ste-Catherine. Un certain soir de janvier. Très froid et très noir. Je rencontre Mireille Camier. Metteure en scène. Artiste engagée. Femme lumineuse. Bouillonnante. Énergisante. Célibataire. (Doit-on le dire?) On parle d’abord de ses projets. De théâtre. De création. Et d’amour surtout.

La pièce de théâtre «Ivresse » de Falk Richter, auteur allemand, sera le prochain projet qu’elle mettra en scène. Écrite en collectif avec des dizaines d’acteurs européens, cette pièce l’a interpelée plus que jamais. Pourquoi?

Mireille« L’ivresse, c’est parce qu’on en veut toujours plus. C’est la consommation. On veut toujours plus de l’autre, du couple, plus d’amour, plus de sexe, plus d’attention. C’est un peu la thèse de la pièce, qui est à l’image de notre société néo-capitaliste. Comment le couple peut évoluer là-dedans? Et si on avait aucune convention, ça serait quoi qu’on choisirait dans le couple? »

Racontée sans personnages et adressée directement au public avec un discours très politique, la pièce se veut comme une sorte de témoignage sur l’amour et la vision du couple. Comment l’autre peut enrichir notre projet individuel de vie à une époque où l’individualisme est très valorisé? Chacun a ses besoins, chacun veut devenir de meilleurs êtres humains.

«  Dans ma vie, je suis célibataire depuis presque 10 ans. J’ai vécu toutes sortes de situation. Cette pièce-là me touchait parce qu’avant de vivre à Montréal, je connaissais moins les règles du jeu. Il y avait des codes que je ne connaissais pas. J’étais très fille du Lac-St-Jean. Bohème. Très humaine. Quand je rencontrais un être humain, je l’aimais tout de suite. Je suis très attirée par les humains. J’ai beaucoup d’empathie et beaucoup de respect pour chaque personne. Il y a comme une espèce de jungle à Montréal. J’ai été très naïve je pense. Parce que ce n’est pas tout le monde qui a la même attention à l’autre, le même respect… j’ai eu vraiment beaucoup de peine et j’ai été très déçue.  Comme la pièce le raconte, je me sentais consommée. Et rejetée.  J’avais vraiment l’impression d’être une clientèle jetable. 

Quand je rencontre une date, c’est un être humain que je rencontre à part entière. J’ai un certain amour déjà pour lui. Ou un grand respect. Peu importe. Pour le gars, c’était pour lui juste une rencontre, mais pour moi, cette personne, je ne l’oublierai jamais dans ma vie. C’est mon côté naïf et intense, mais pendant des années, cela m’a fait mal.

C’est pour ça que la pièce m’a touchée, car je sentais que j’avais le même sentiment par rapport à ça. Ça va vite. Pour survivre à ça, il faut avoir beaucoup confiance en soi. Pis ne pas avoir peur du rejet. Je crois que les gens se sont construits une carapace pour survivre à ce mode de vie-là.

Je m’en suis créée une belle. Je me protège maintenant. Je me suis adaptée. Je suis une personne adaptée à la société dans laquelle on vit. »

Chaque personne a sa quête personnelle. Mireille choisit ses projets en fonction de ce qui la touche. Elle recherche des contacts humains. Elle trouve cela terrible d’être réduite à une fiche et une photo sur un site de rencontres. C’est un non-sens. Comment peut-elle se résumer en une phrase?

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Et c’est de cette façon que sont nées ses soirées pour célibataires. Avec le fameux jeu « Coup de foudre » comme on le connait. Destiné d’abord au 20-30 ans, l’objectif premier était de financer un de ses projets de théâtre. Et pourquoi pas faire une soirée pour matcher ses amis par la même occasion? Le poisson a mordu à l’hameçon. Depuis, cinq soirées ont eu lieu et une nouvelle se prépare pour la St-Valentin. Cette fois-ci, nouvelle formule pour les 40 ans et plus. Plus conviviale. Plus relax. Moins meat market. Le but est surtout de réunir les célibataires de cette tranche d’âge dans un même lieu. En jouant au smooth dating, les participants pourront parler sur des thèmes imposés. Exit quel est ton âge, ton sexe, ton salaire, ta profession. On veut du vrai. Parce qu’au final, tout le monde a le même désir : le besoin de rencontrer quelqu’un. Peu importe la façon de le faire.

Ce que Mireille recherche avant tout? La profondeur et l’honnêteté. Elle préfère ce genre de soirée où les gens se rencontrent physiquement. Pour sentir la vibe qu’elle dit.

«  Ce que 2015 a que 1965, par exemple, n’a pas, c’est l’accélération des communications. Le contact est moins profond. L’ère de l’électronique a un impact sur l’individualisme. Je trouve que toutes les époques avaient ses problèmes, mais aujourd’hui ça prend plus de temps à toucher la profondeur. Les gens restent plus en surface. Oui, il y a plus de communication, mais quand est-ce que tu as une conversation profonde avec quelqu’un sur le Net? C’est autre chose qu’une bière en tête-à-tête. »

Mireille, c’est le genre de personne qui peut te nourrir avec ses réflexions toute une soirée. Jamais banales. Toujours vraies. Parce qu’elle cherche toujours à trouver un sens à ce qu’elle fait.

«  On est à une époque où quand le chandail est brisé, on le jette. On le répare pas. Je pense que dans notre mode de vie, ça reste. Les choses ont une fin. On répare pas les choses, on les jette. On manque d’outils pour croître dans le relationnel. On n’a pas appris à approfondir les choses. 

Le manque d’empathie me rend très colérique. Prendre conscience de l’existence de l’autre être humain, c’est quelque chose qui manque à notre société. Un objet a été créé! Chaque être humain est une oeuvre d’art, ç’a une grande valeur! »

Éclats de rire. On rigole. Mais on réalise qu’il y a un peu, beaucoup de vrai dans tout ça. On oublie souvent de se rappeler.

« J’ai juste appris à être bien avec moi-même. Si l’amour passe, je vais l’attraper, mais s’il ne passe pas, je ne vais pas courir après. C’est un peu ça maintenant mon bonheur. Pis que je n’attends plus que ça arrive pour être heureuse. J’ai choisi de l’être sans ça. Mais si l’amour passe à côté de moi, je vais le voir. Je vais être capable d’avoir les yeux ouverts. »

Peut-être qu’on dira que l’amour aura pris son temps dans la vie de Mireille, mais l’humanité et les projets auront toujours été présents.

La soirée L’amour a pris son temps ou Last call for love! aura lieu le 14 février 2015 à compter de 17h à La Succursale brasserie artisanale (3188 rue Masson) à Montréal.

Pour plus d’informations et pour rester à l’affût des projets de Mireille: www.productionsquitteoudouble.com

[image 1: Spectacle Le Dragon d’or, mise en scène de Mireille Camier, Théâtre Prospero, avril 2014. Crédit photo: Marc-André Goulet.
image 2: Mireille Camier. Crédit photo: Maude Perrin]

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