Mon ange gardien amoureux

Bientôt ça va faire dix ans que t’es parti. En fait, dire « parti » est faible, parce que t’es pas parti. T’es mort. T’as eu un accident de voiture, et je ne t’ai plus jamais revu. J’aime l’idée que tu sois monté au ciel et que tu veilles, en quelque sorte, sur moi, d’où tu es.

Ça faisait un an qu’on sortait ensemble. C’était un premier amour. On avait 15 ans. Tu es la personne à qui j’ai donné mon cœur pour la première fois. À qui j’ai confié mes craintes, mes peurs. À vrai dire, c’est avec toi que j’ai vécu plusieurs de « mes premières fois ». On était naïfs et insouciants, avec ce vent constant dans les voiles. Évidemment, le quotidien du secondaire et nos vies respectives chez nos parents rendaient notre amour semi-autonome, mais quand même, c’était sérieux entre nous. On dirait qu’il faut toujours justifier l’amour quand on est jeunes, car les grands disent que c’est « juste » au passage, « juste » pour l’été.

Justement, l’été que t’es parti en voyage et que j’attendais ton retour, ben… T’es jamais revenu. Ton oncle conduisait, et vous avez percuté une autre voiture. La voiture a été mise en bouillie tout comme le reste de ton corps. Après avoir appris ta mort, tout s’est passé très vite, et j’en ai perdu des bribes. J’ai perdu la notion du temps de cette époque. Je me souviens juste d’avoir vu des fleurs, un cercueil et des gens tristes. Après, c’est flou. Cet été-là, j’ai continué à croire que tu reviendrais. Que tu avais juste retardé ton retour ou même, que tu me faisais une surprise. Puis, peu à peu, j’ai voulu l’oublier. Oublier cet été de merde qui m’a tant vue souffrir. Cet été qui restera à jamais gravé dans ma mémoire. Lorsque l’automne est revenu, je me suis lancée corps et âme dans les études. Je me suis essoufflée, éreintée pour cesser de penser à toi. J’ai tout fait pour gagner du répit mental. Que pour un temps je comble ce vide intérieur.

Mais, peu à peu, la réalité m’a rattrapée. J’ai dû m’arrêter et faire face à ta mort. Faire face à ton absence, malgré tes trucs laissés chez moi, avant ton départ. Et tes photos partout de toi et moi dans ma chambre. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps en croyant qu’il n’en resterait plus pour le reste de ma vie. Mais comme on dit, le temps guérit les choses, et j’ai fini par sortir de cette case blanche inexplicable de ma vie, pour continuer d’écrire mon histoire.

À l’intérieur se sont ajoutés des relations, des garçons, des ruptures, des rejets, des blessures, des joies, des découvertes. Et chaque fois, une parcelle de toi quelque part faisait surface. Je me demandais comment tu aurais réagi; si toi, tu avais fait ça; si toi, tu avais aimé ça. Chaque fois, je replongeais dans nos souvenirs, en voulant écrire le futur avec toi. Même que plusieurs fois, j’ai pensé à toi lorsque j’étais dans d’autres bras. Plusieurs fois, je me suis sentie coupable de ne pas avoir été avec toi pour toutes tes « dernières fois ». Plusieurs fois, j’ai voulu être à ta place.

Mais avec le temps, j’ai appris à laisser de côté mes démons et à te laisser une place dans ma vie en tant qu’ange gardien. Follement amoureux, mais en tant qu’ange gardien.

[Source de l’image : Pixabay]

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