Quand j’étais petite, ma mère se levait toujours avant mon frère, ma sœur et moi. Quand c’était à notre tour de se réveiller, elle avait déjà déjeuné, elle était habillée et souvent, elle avait préparé du pain doré. Je me demandais souvent ce qu’elle pouvait bien faire le matin, pendant que nous dormions encore. Ça devait être plate déjeuner toute seule, sans nous pour lui chanter des chansons ou lui montrer notre nouvelle composition de flûte à bec.
Le lendemain de mon déménagement, après avoir brisé mon premier bail et quitté les murs pastel de mon appartement miteux d’Ahuntsic, j’ai compris. Au premier matin de ma cohabitation amoureuse, je me suis levée plus tôt que mon chum. Aujourd’hui, presque deux ans plus tard, je m’obstine à instaurer cette tradition solitaire du matin. Évidemment, quand le weekend arrive, je dis à mon mari que je ferai la grasse matinée, moi aussi. Mais je n’y arrive jamais. Pas besoin de cadran ni de l’envie d’aller faire pipi qui réveille trop tôt ; juste un désir immense de prendre mon premier café dans le silence de notre appartement. Des fois, j’écoute Gilmore Girls. J’ai une routine: café, vaisselle de la veille, lavage, maquillage (en même temps que Lorelai) et départ pour le travail, à trois minutes de marche de la maison. L’émission change au fil des propositions de Netflix. Quand j’étais célibataire, je faisais ça à journée longue. Mais même si ce moment-là est, de loin, le plus précieux de ma journée, il m’arrive d’avoir l’impression de passer à côté de quelque chose. Et non, ce quelque chose-là n’est pas LA VIE.
Je ne suis pas plus compréhensive depuis que je suis mariée. Je ne suis pas plus patiente ni plus gentille. Je suis encore marabout le matin. Je ne me trouve pas toujours belle avant de partir travailler. J’ai encore, à vingt-cinq ans, l’impression de ne pas savoir comment aimer ce corps qui est le mien. Je pense que le matin, c’est mon moment pour me construire une confiance, qui doit malheureusement être renouvelée chaque vingt-quatre heures. Je pense aussi que pendant ce moment, je me rappelle mes buts dans la vie, ce que je veux, ce que je pense que je vaux. Parce que tout ne se répare pas dans la nuit, parce qu’un beauty sleep, ce n’est pas vraiment un miracle. En tout cas, pas pour moi. C’est comme de prendre une grande respiration avant un exposé oral. C’est comme de boucher son nez avant de faire une bombe dans la piscine chez mon père. C’est le vingt secondes de courage (règle universelle inventée par mon mari), qu’il nous faut avant chaque défi. La grandeur du défi importe peu : parler à un inconnu, appeler Mastercard pour justifier un retard de paiement, présenter un projet devant des collègues de travail. Essaye-le, le vingt secondes de courage. Ça marche.
Pour moi, le matin, c’est un long vingt secondes. Demain matin, je vais essayer de me lever à la même heure que mon chum. Parce que s’il y a bien une personne dans la vie avec qui j’ai le droit d’être la version moins courageuse de moi, c’est lui, non ?
Maman, je ne sais pas pourquoi tu te levais avant nous, quand j’étais petite. Mais si c’était juste un peu pour la même raison que moi, je te comprends, maintenant.
[Source de l’image : Sleeping together par Svante Adermark]