Quand on oublie d’aimer

Ma mère adoptive a un gros bobo dans le dedans.

Comme ça, sans trop avertir ni se soucier de c’qu’on en pense, la vie a décidé que sa nouvelle maison serait l’hôpital. Pis elle a même pas choisi sa chambre. Sa dernière. Y’a fallu remplir une valise de linge. Comme pour un voyage dont l’itinéraire est terminé avant de commencer.  On a oublié sa montre et elle s’est fâchée. Parce que pour nous le temps ne servait plus à rien. Parce que y’a des fois où c’est même pas vrai qu’le temps arrange les choses. Les humains inventent ça des fois pour se rassurer qu’le verbe continuer a pas juste sa place dans le Bescherelle. Tsé.

J’le sais pas c’est quoi le pire entre savoir qu’elle va mourir ou lui parler sans qu’elle me reconnaisse. Elle commence à me demander si mes devoirs sont finis ou si ça fait longtemps que j’me suis fait tatouer. Le genre de question auxquelles même l’infirmière qui me connaît pas a une bonne idée des réponses. Pis chaque jour j’me dis qu’un moment donné, elle va m’la poser la maudite question que j’veux jamais entendre.

T’es qui toi ?

Je pense qu’à ce moment là j’aurai même pas assez de force pour pleurer. Parce que j’ai déjà tout pleuré c’qu’un humain peut rejeter comme tristesse. Parce qu’elle se souviendra même pu de ce qu’elle aime le plus sur terre.  On jase pas ici d’oublier l’affaire que t’es supposé acheter à l’épicerie, comme moi j’oublie toujours de te rappeler la date de fête du p’tit cousin à l’oncle de la belle-soeur. Drette pas. Faque j’voudrais écrire ceci, si jamais un jour moi aussi j’oublie d’aimer ceux et celles que j’aime. Le genre de minimum que la vie devrait jamais enlever à personne. Pas même aux personnes qu’elles décident de faire souffrir.

Maman. J’tai jamais trop connue. Tu m’as donné la vie pour la perdre ensuite. Trop vite. T’es partie plus loin que le mot loin pis tu me manques chaque jour. J’te jure que le deuil de sa mère c’est pas vraiment quelque chose d’humain à faire. J’ai déjà eu de meilleurs projets mettons. Mais j’veux que tu saches que je sais que t’es là. Beaucoup plus que certains vivants. J’ai toujours voulu que tu sois fier de moi. Tu le sais, des conneries j’en ai faites pas mal mais j’le sais que tu t’en fous. Comme tu te fous que j’vais en faire encore. Parce qu’aimer pour vrai, c’est ça. J’ai compris ça avec le temps. Si y’a quelque chose de positif aux niaiseries, c’est qu’elles servent à connaître ceux et celles qui t’aiment. Et qui sont là. Pour vrai.

Éléa et Alice. Mes filles. J’peux pas m’imaginer qu’un jour, peut-être, je ne vous reconnaîtrai plus. Mais si jamais un jour vous venez me voir et je vous demande qui vous êtes, sachez que quelque part au fond de moi, je ne vous oublierai jamais. Depuis que vous êtes dans ma vie, je suis un meilleur humain. Je suis si fier d’être votre papa et de voir à quel point vous êtes deux magnifiques et belles personnes. Foncez vers vos rêves et je vous interdit de penser qu’ils sont impossibles. Vous le savez, je vous le dit toujours, au pire y’en a qui vous demanderont plus d’efforts. Mais croyez-y. Moi je crois en vous. Trouvez vos passions, riez chaque jour et sachez que tout finit par passer. Même le pire pas beau. Et surtout, ne cessez jamais de croire en l’amour. Jamais. Parce que la peine c’est juste du bonheur qui se repose un peu.

Ça se peut qu’un jour la vie t’enlève la mémoire, tes souvenirs, les rires que tu cachais précieusement dans ta tête quand tu vivais du trop lourd. Ça se peut qu’un jour t’oublies d’aimer. Ceux et celles qui t’aiment. Ça se peut. Mais là, aujourd’hui, la chose la plus précieuse que tu puisses avoir c’est du temps. Si t’as pas toujours dit c’que t’avais dans le coeur, va le dire. Attends pas le bon timing ni la bonne façon d’le dire. Quand c’est pour de vrai, y’a jamais de mauvais moment pour un je t’aime. Si t’as pas toujours aimé comme t’aurais voulu, fais-le maintenant et vis pas dans le passé. Si t’as arrêté de rêver et que t’es pas devenu celui ou celle que tu voulais, y’a que toi-même qui t’en empêche. Il n’est jamais trop tard, vas-y, fonce et attends pas que la vie soit magique avec toi.

Parce qu’un jour tu te fâcheras peut-être parce que t’as pas ta montre. Mais en fait, c’est peut-être juste parce que tu voudrais reculer le temps pour pouvoir rester.

[Source de l’image :  Time. par Nathan O’Nions]

 

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