J’avais toujours vécu mes relations comme le reste : au jour le jour. Sans trop d’attaches, sans trop de projets. Je vivais des moments corrects, parfois beaux, parfois moins, en sachant qu’un jour ou l’autre, ça changerait. En te rencontrant, ça a changé. Ça fait déjà une année que tu m’as dit « Je t’aime » entre deux bières. Un je t’aime qui m’a fait pleurer, moi, la fille ultra sensible mais tellement pas émotive. Moi, la fille qui ne divulgue pas ses émotions, qui garde tout pour elle et qui peine à faire des compliments par peur que ça sonne faux.
Je ne voulais pas que tu me touches. Ça me faisait trop mal, ça me faisait trop de bien. Tu étais là et tu m’aimais. Nous étions arrivés au début de quelque chose d’immense : nous étions arrivés aux portes de l’avenir, devant un futur qu’on partagerait désormais à deux.
À peine deux semaines après ton premier « Je t’aime », nous avons commencé à regarder les appartements sur Kijiji. Fous de même. On allait se planter, que les autres nous disaient. Mais nous, on savait que non. On savait qu’on faisait la bonne chose. J’étais allée chercher des croissants, des chocolatines et un café et nous avions passé des heures à éplucher les annonces. Un mois pile après notre date, on signait un bail. Deux mois plus tard, on emménageait.
Entre temps je ne peux compter le nombre de fois où j’ai gravi les escaliers de la rue Saint-Christophe le cœur fébrile. Les escaliers de cet appartement qui a vu nos débuts. Qui a entendu nos premières chicanes. Qui a entendu notre exaspération face à tes colocs. Qui a senti l’odeur des bons soupers que je préparais – disons que ça faisait changement de tes huit toasts au beurre d’arachides. L’appartement qui a vu les nouveaux vêtements que j’achetais pour me sentir encore plus belle, pour voir tes yeux me dire wow.
Nous avons emménagé à la fin du mois de décembre. On le trouvait donc beau, notre appartement. C’était notre première maison. Enfin, il n’y aurait plus jamais de « J’espère que les fatigants ne seront pas là! » Nous avions tout acheté chez IKEA parce qu’on n’avait pas les moyens d’acheter autre chose. Le premier soir, on a mangé du chinois assis par terre en indien. C’était tellement bon d’incarner le cliché.
On était bien. Malgré la table qui avait pris cinq heures à assembler le lendemain et le lit qui tombait chaque fois qu’on bougeait un peu trop fort dedans. Malgré le divan qui n’était pas si confortable que ça au fond et les chaises qui faisaient mal aux fesses. On était chez nous et c’est tout ce qui comptait.
Durant longtemps j’ai eu peur qu’on s’habitue. Qu’on s’habitue à tout ce qui nous faisait vivre, à tout ce qui faisait en sorte qu’on ne s’habitue justement pas. J’avais peur qu’à force de ne plus se déshabiller comme avant, on oublie de se remarquer. C’est qu’il y a toujours quelque chose de spécial dans le geste d’enlever les vêtements de l’autre lorsqu’elle ou il arrive à son appartement. À force de se promener tantôt en sous-vêtements, tantôt nus, allions-nous encore ressentir du désir pour l’autre? On a l’habitude tellement facile. Finalement, on ne s’est jamais habitués.
Quelques mois plus tard, nous avons déménagé à nouveau. On n’était plus si bien que ça dans notre boîte à savon. La salle de bain n’avait pas de fenêtre, on n’avait pas un gros balcon, on était tannés d’aller à la buanderie, le karaoké des voisins nous faisait suer tous les dimanches soirs et l’appartement était devenu trop IKEA, justement. Ce n’était plus nous. On a donc épluché les annonces sur Kijiji à nouveau.
T’en avais trouvé un, moi je n’avais pas le temps de le visiter. T’étais allé le voir tout seul. Je t’avais fait confiance. Le quartier était différent et l’ambiance aussi. La première fois que j’ai vu le logement était le jour de notre déménagement. Je vais t’avouer que j’ai eu peur qu’on se plante. Et si je ne l’aimais pas? Et s’il ne convenait pas? Finalement, t’avais raison. Je ne l’aimais pas; je l’adorais. Des plafonds super hauts, une bibliothèque encastrée, des portes françaises, la plus belle cuisine du monde et des électro neufs.
On devait sous-louer notre appartement de la rue d’Iberville. Comme dirait l’autre, ça urgeait. On n’aurait pas eu les moyens de payer deux loyers. J’étais allée au Dollarama acheter de la déco quétaine. Ça avait fonctionné. On l’avait loué. On avait fait des boîtes en deux jours et ma mère était venue avec la remorque qu’elle avait louée. Le temps d’un avant-midi, nous étions rendus ailleurs.
Nous n’avions pas grand-chose de plus, t’sé. Les mêmes meubles laids IKEA. Toujours pas de divan (on l’avait laissé là-bas). Toujours pas de télévision. Toujours pas de base de lit (on avait jeté celle du IKEA entre temps). Toujours pas de commode. Mais on respirait. L’été a passé, l’université a recommencé. Tranquillement, on s’est installés. On s’est créé d’autres souvenirs. On est allés visiter un artisan. On lui a acheté une base de lit et une table de cuisine en bois massif faits à la main. On a ramassé un divan en parfait état sur le bord du chemin. On a aussi ramassé une belle commode en bois sur le bord de la même rue.
On a placé les blocs de notre vie, morceau par morceau, question de s’inscrire dans la durée et non dans l’éphémère. On a un balcon plus grand, beaucoup plus grand. On a même une table et deux chaises pour les soirées où on se couche tard. On est de mieux en mieux.
Ah, il y a aussi une pièce de plus. La chambre de notre fils. Celui qui s’en vient dans trois mois. Déjà? Et oui, déjà. Encore là, les gens nous disaient qu’on allait se planter. Qu’il fallait suivre les étapes. Il faut croire qu’ils avaient tort, car on est toujours là malgré les remises en question que ça a suscité. Il faut croire qu’on n’est pas experts dans l’art de prendre notre temps. On fait tout à l’envers. Nous, on veut se marier dans neuf ans, quand ça fera dix ans qu’on est ensemble. Pas avant. On veut voir jusqu’à quel bout de chemin on peut aller.
On n’a jamais eu de plan tous les deux, sauf celui de rester ensemble le plus longtemps possible.
[Crédit de l’image : Virginie Chaloux]