Celui qui dura quatre saisons

C’était le début de l’été. Notre peau commençait à se réhabituer au soleil, à être dénudée… Dans le cadre du travail, j’étais dans un endroit paradisiaque. Peut-être que si je l’avais rencontré dans une ruelle, cela aurait changé l’histoire, mais bon. En bonne chasseuse que j’étais, il a été dans ma mire. Je l’ai visé et j’ai eu le déclic, c’est lui que je veux. Les rayons avaient tapé trop fort, en y repensant. Ma proie tentait certaines actions : regards, sourires. Je l’ignorais. Ce sentiment de domination, ouf! L’apogée de la « Grey » en moi a été de lui faire faire un « high five fail » : le voir tenter de toucher ma main, en vain. Tout mon corps criait « victoire »! À la fin de la journée, je le récompensais : « Ah, je ne t’ai jamais vu, tu travailles où? » On réalise alors que nous aurons à collaborer. L’union débuta. La femme que je suis a toujours aimé flirter, mais n’a jamais transgressé les lois au travail; toujours professionnelle, ou presque. Jusqu’au jour où, à la fin de l’été, il m’annonça qu’il travaillerait ailleurs. Nous n’étions plus partenaires, alors nous pouvions le devenir. Stratégique, je plaçai les pions… pour une partie que j’allais peut-être perdre.

L’automne arriva. Nous avions développé une pseudorelation amicale. Jusqu’au jour où enfin, il m’invita à prendre un verre. C’est une date me suis-je dite! Connexion instantanée, je passai en mode séduction. Les rires, le balancement de mes cheveux, regards plus profonds. J’osai même toucher son bras, son biceps, plus précisément. Je lui démontrais sa force, mais je gardais le contrôle. Du moins, je le croyais. Les feuilles tombaient, les odeurs boisées étaient là, je décidai à ce moment que pour une fois dans ma vie, je ne poserais pas de questions. C’est que le garçon m’intéressait, il semblait mystérieux. Il avait une étincelle dans les yeux que je n’avais jamais vue. Je me laissai bercer par le vent d’automne. Il entama les discussions, il faut dire que le garçon sortait à peine d’une relation. À peine oui, car lors de notre premier verre, il était toujours en couple. Mais j’admirais sa profondeur, sa candeur.

L’hiver arriva, les troubles aussi. Une grande vague de froid dépressive. Je commençai à être tannée de ne pas poser mes questions et surtout, d’en avoir de plus en plus. J’étais très disponible pour lui et en retour, je n’avais que des miettes. Il avait un rythme de vie effréné, pensais-je. Mais lorsqu’il était là, je retrouvais sa profondeur, sa candeur. Par contre, l’étincelle dans ses yeux n’y était plus. C’était noir. J’ai tenté alors de partir, courir. La neige et ses paroles me stoppèrent. Il avait froid, avait besoin de ma chaleur. Plus il en prenait, plus j’en perdais. Je ne me reconnaissais plus. Les couleurs n’y étaient plus, seul le blanc de la neige, le blizzard. Je souhaitai sa disparition, retrouver le calme après la tempête. Je n’avais plus d’énergie. Une âme sans fond, voilà ce qu’il était. Je l’aimais et le détestais.

Heureusement, le printemps arriva. La neige se mit à fondre, mes idées claires revenaient aussi. Je savais que je devais y mettre fin, mais comment? L’emprise qu’il avait sur moi était énorme; il me dominait complètement. C’est alors que je découvris qu’il était profond et mystérieux avec d’autres que moi. Le rôle que j’occupais dans sa vie n’était que de la figuration. Toutes les histoires, les mots, les maux, ils les partageaient avec d’autres. Il avait trop froid, ma chaleur n’était pas suffisante. Il vivait les saisons avec elles aussi. Dire que j’étais empathique avec sa fatigue et son rythme de vie, c’est épuisant être avec plusieurs femmes! Le printemps, signe de renouveau, marqua la fin de cette relation malsaine. Il n’était pas mystérieux, profond et candide. Il était fade, profiteur et m’a volé quatre saisons.

Depuis, il tente de réapparaître dans ma vie, une fois tous les trois mois… quand les saisons changent. J’ai peut-être perdu au jeu, mais heureusement pour moi, je n’y joue plus.

[Source de l’image: Marie-Andrée Lemire]

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