À côté de moi, une longue paire de jambes presque entièrement dénudées se tortille, bien ancrée au fond de son siège de cinéma. La lumière en saccades bleutées de l’écran les fait briller dans le coin de mon œil. Et je ne sais pas quoi faire. Je suis à moitié paralysé et je n’arrête pas de me dire que je devrais avoir envie de, ne serait-ce que m’imaginer glisser tranquillement mes doigts le long de ses cuisses, les effleurer coquinement, peut-être rejoindre le bout de ses doigts à elle et laisser nos souffles coupés par le désir montant… Mais le cœur n’y est pas. Quelque chose en moi qui coince. J’ai déjà fait ça. Plus d’une fois. Il n’y a rien de spécial ici. Comme si tout à coup je me retrouvais vidé d’inspiration et qu’une force invisible en moi me retenait de rejouer ce même scénario. Pas la peur d’être rejeté, non. C’est plutôt l’inverse. Celle de créer un faux espoir. Je n’ai pas été clair, je crois. Et cette fois, c’est moi qui manque cruellement de courage. Tout ce qui me trotte en tête, c’est :
-Suis-je brisé? -Suis-je prêt à ceci? – Est-ce que je m’imagine qu’elle souhaite davantage? -Quelles sont les idées que je lui projette? – Quelle prétention de ma part…
Encore à me remettre de ma dernière rupture amoureuse, je reçois, un soir de langueur, un message. Un message d’une fille. Une fille que j’ai croisée quelques semaines auparavant à qui j’ai laissé, semble-t-il. une agréable impression. Des taquineries autour d’un feu de camping, des secousses de flirts sans but précis autre que de s’exciter un peu. Oui, ça m’arrive de temps à temps, qu’est-ce que vous voulez.
Ce message, donc, est en fait une invitation. De sa part. À l’accompagner au cinéma pour aller voir un film érotique. Pas pornographique, mais bien érotique (la nuance est importante ici, l’idée n’étant pas d’aller se mouiller les fesses dans les restants de plaisir des spectateurs précédents…). Il m’est impossible de ne pas admirer le cran de cette fille. Il ne s’agit pas ici d’une simple invitation à aller prendre un verre ou un café, mais bien d’une invitation claire et originale. De ce que j’en crois en tout cas. Déjà, je me dis qu’il serait ridicule de m’embarquer dans ce genre d’histoire, c’est trop tôt. Mon cœur n’est pas prêt, trop fragile encore. Mais du même coup, ma curiosité est piquée. Et je trouve l’idée excitante. Alors pourquoi pas? Peut-être ne s’agit-il là que d’une bonne occasion pour me changer les idées et m’aider à rebondir.
J’arrive très en retard à notre rendez-vous. Nous prenons une bouchée avant d’aller s’asseoir côte à côte dans le noir enveloppant du cinéma. Pendant le repas, je ne souffle presque pas mot. C’est qu’elle parle beaucoup. Et fort. C’est comme si on ne l’avait pas écoutée depuis des millénaires. Comme une assoiffée trouvant enfin une oasis en plein cœur du désert. Elle en oublie presque de respirer. Et se lance dans toutes les directions à la fois. Je ne peux m’empêcher par moments de me demander ce que je fais là… Pourtant, je la trouve belle au travers sa détermination à vouloir devenir une meilleure personne, à vouloir saisir le monde, le prendre à bras le corps. Je ne dois pas être de si agréable compagnie. Je ne déploie que le minimum nécessaire et essaie très fort de trouver une connexion. Mais surtout, je me sens seul. Jamais elle ne me pose de question. Jamais elle ne s’intéresse à moi. C’est une relation à sens unique.
Le film est commencé. Je renoue avec mon amour du cinéma. Il y a longtemps que j’ai vu un film d’auteur, et j’en retrouve le bonheur. Et moi, au cinéma, pour ceux à qui ça tape sur les nerfs… je parle. Je commente. Je me questionne. Elle, non. Elle me tait… Je suis tout mélangé. Que dois-je faire? Regarder le film en silence et faire comme si elle n’existait pas? J’aime aller au cinéma seul. Car je peux alors réagir comme il me plaît, sans être influencé par la personne qui m’accompagne. Rire ou pleurer à ma guise. Je peux aussi le faire avec des amis proches. Mais en cet instant… je me sens tout simplement prisonnier. Et tout ça, c’est bien juste de ma faute. Et à force de me questionner et de me retenir, je m’épuise. Le film se poursuit devant nous, et au travers de mes minces tentatives, je commence sérieusement à… m’endormir…
Nous sommes dehors, le film est terminé et on y va de nos critiques formatées et trop intellectualisées, pour pallier le fait que réellement, on n’a rien à se dire… On se laisse à une intersection, une bise froide et un poli : « Eh bien… à bientôt? … Peut-être? … » Chargé de : « Ouin on dirait ben que ça se passera pas… ». Je poursuis mon chemin, seul, au travers du parc La Fontaine, les yeux dans l’eau.
Je ne regrette pas d’être allé à ce rendez-vous. Mais je questionne le jugement d’un gars au cœur en réhabilitation… Et à cette fille, je dis merci. Merci d’avoir eu le courage de m’inviter malgré mon cœur retranché.
[Source de l’image: Pixabay]
Et bien faut croire que ça se passe autant au masculin qu’au féminin! J’aurais pu écrire ce texte, à quelques mots près (et pas avec la même anecdote). Le même ressenti. J’aime bien l’expression ”le coeur en réhabilitation” !
Il y en a quelques-uns qui sont comme toi. Le passé est passé, il faut essayer de regarder en avant, vers demain. Tu as essayé… Je pense qu’il faut apprendre à écouter son coeur et à dialoguer.
En tk, c’est super que tu te reprennes en main, physiquement et mentalement, tu fais de l’introspection, on dirait. Tu restaures ton coeur
☺️ . De ne pas foncer tête baissée dans une relation… C’est bien!