Le jeu de la séduction

crédit photo Isabelle Levesque

J’ai toujours détesté l’expression «le jeu de la séduction».

Le dictionnaire Larousse donne maintes définitions du mot «jeu», les deux premières étant celles-ci :

  • Activité d’ordre physique ou mental, non imposée, ne visant à aucune fin utilitaire, et à laquelle on s’adonne pour se divertir, en tirer un plaisir : Participer à un jeu.
  • Activité de loisir soumise à des règles conventionnelles, comportant gagnant(s) et perdant(s) et où interviennent, de façon variable, les qualités physiques ou intellectuelles, l’adresse, l’habileté et le hasard :Jeu d’adresse. Jeu télévisé. Jeux d’argent. Jeux de cartes. Tricher au jeu.

La deuxième définition est troublante de ressemblance avec la majorité des relations contemporaines : des règles, des gagnants et perdants, une question d’aptitude et de hasard.

Il est difficile de nier que c’est une expression qui semble définir les relations amoureuses, depuis bien longtemps. Se vendre, montrer son meilleur profil, sortir plumes et poitrines, provoquer et exacerber l’attirance, donner un peu de tendresse mais pas trop, avancer, reculer, courir dans tous les sens, l’air d’une poule décapitée. Jouer à quoi, au juste? Jouer à essayer d’être ce que l’autre désire, à deviner? L’amour serait une charade qu’il faut savoir décrypter sous peine d’être exclu de la partie? Il y aurait des règles? Écrites où, par qui, établies de quelle manière et sous quelles conditions?
Le problème est là : tout le monde ne joue pas au même jeu, ni avec les mêmes règles.
Certains utilisent les dés, d’autres les cartes, quelques-uns l’argent et comme dans tous les jeux, il y a les tricheries et les faux-semblants, les as cachés dans les manches et des perdants ruinés.
C’est l’invention des personnages, des stratégies, les costumes et les danses colorées, les artifices, les feux qui crépitent : carnaval et foire de bêtes étranges.

La partie commence et le plaisir doucement monte, sur les joues et dans les yeux s’étalent les étincelles, c’est le grand défilé, la magie et l’enchantement, l’apothéose d’un spectacle aux éclats flamboyants.

Qu’arrive-t-il quand un matin le cirque s’en va, que la table se vide de ses joueurs et qu’il n’en reste qu’un d’accoudé? Que se passe-t-il lorsque les masques tombent, quand toutes les frimes ont été jouées, que des feux il ne reste qu’une trace de brulure?

J’ai pu répondre quelques fois à la question, comme la plupart des gens et malgré les exceptions, cruauté et déchirement seront des mots prépondérants dans les souvenirs évoqués.
J’ai essayé d’autres tactiques, de changer le porte-bonheur accroché à mon doigt, mais ce n’est pas une activité faite pour moi.
Je n’ai pas envie de prétendre, de sourire quand il le faut, d’être une femme polymorphe pour accélérer un pouls. Je ne veux pas d’une sensuelle tendresse que j’aurais gagnée, extorquée, volée par d’ignobles stratagèmes. Je refuse de m’asseoir devant un échiquier amoureux, de prévoir cent coups d’avance, d’user des faiblesses d’un adversaire qui ne devrait pas en être un. Je n’ai pas l’intention de suivre des règles créées par des non-dits, de lire des livres qui voudront m’apprendre comment obtenir le cœur de quelqu’un ou pire, qui prétendront m’apprendre la façon de devenir une femme digne de l’être : changez ceci, essayez cela, l’autre sexe n’aime pas ceci, vous aurez l’air de cela.
De cette compétition du cœur je sors toujours vaincue, avec dans les poches une autre leçon pour alourdir mes courses; je ne sais plus fuir, ni feindre avec les yeux alors, si l’amour est un jeu, je préfère rester sur le banc.

[Crédit photo : Isabelle Lévesque]

1 Comment

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *