Le kick de mes 16 ans

À 16 ans, on aime sans vraiment comprendre l’ampleur de nos sentiments. On aime sincèrement pour la première fois, et c’est un amour des plus bruts. Un amour pur et si naïf à la fois, car notre cœur n’a pas encore connu ses peines. À 16 ans, on aime inconditionnellement, mais secrètement.

Je me souviendrai toujours quand je l’ai vu pour la première fois.

Ma meilleure amie m’avait traîné dans le sous-sol d’un bar crasseux qui se trouvait, en fait, à être un ancien bar de danseuses (je ne vous rassurerai pas en disant que les canapés d’origine étaient toujours là, souillés contre les murs). Je me souviens encore de l’odeur qui y régnait. Un mélange de renfermé moisi et d’urine. (Oui, je sais.) Ce sous-sol était maintenant converti en un local de jam où cohabitaient le punkcore, l’alcool et la sueur.

Pas rassurée du tout, j’avais sûrement hâte qu’on parte, mais elle voulait me présenter son kick du moment. Parce qu’à 16 ans, c’est toujours pour une histoire de kick. Et, on reste toujours pour une histoire de kick. C’est comme un pacte non écrit entre amies. Un combat à deux. Les amours de l’autre deviennent tes affaires, ta mission aussi.

Je me suis donc retrouvée là, petite, fragile et intimidée, dans une place de punks, n’osant toucher à rien. Et, c’est là que je l’ai aperçu. Il était seul, debout sur le petit stage, en train d’accorder sa guitare (parce qu’il accordait toujours sa guitare). Il était beau. Il était sexy. Et, à 16 ans, je suis tombée amoureuse de ce gars mystérieux, rempli d’attitude.

C’est à partir de ce jour que le sous-sol crade et un peu (très) trash fut l’un de mes endroits favoris. Chaque semaine, j’y étais. Ignorant le danger réel de m’asseoir sur l’un des divans ayant servi à je-ne-sais-quoi-que-je-ne-veux-pas-savoir, je m’y blottissais quand même, dans l’espoir d’un échange de regards avec mon guitariste.

Oui, c’était MON guitariste. Car, à 16 ans, on parle de notre kick comme s’il était nôtre. On possède les droits d’auteur sur sa personne pour griffonner son nom en toute liberté dans tous les recoins possibles de nos cahiers d’école. Et, nouvellement poète, on s’autorise le droit d’écrire notre histoire dans notre journal. Parce qu’à 16 ans, sans même qu’il soit au courant, on a déjà notre histoire.

Tous les soirs, on rêvasse à cet amour d’adolescente par peur d’oublier le bien-être que ça nous procure. On laisse nos fantasmes amoureux envahir et enivrer toutes nos pensées. On aimerait qu’il sache et qu’il ressente la même chose, mais à 16 ans, tu gardes cet amour en secret par crainte que toute cette magie, dans laquelle tu t’es blottie confortablement, puisse s’envoler.

Mais, voilà que j’ai vécu l’inattendu. À 16 ans, mon désir le plus improbable devint réalité. Lui, ce jeune homme que je croyais inaccessible, avait également l’œil sur moi. Oui, sur MOI. J’ignorais comment cela pouvait être possible, mais à partir de ce jour-là, je vivais sur un nuage. J’ai compris que tous les signes que je croyais apercevoir n’étaient pas uniquement le fruit de mon imagination. Il y avait vraiment des échanges de regards. Des vrais. Ceux qui veulent se dire quelque chose, mais qui n’osent pas.

Hélas, il y avait un petit bémol! Il avait une copine. Gros problème, me direz-vous, mais à 16 ans, tu ne veux pas le voir. Tu espères quand même. Tu espères jusqu’au jour où tu comprends que votre histoire en restera aux échanges de regards et aux bines sur l’épaule. Plus tard, tu comprendras qu’il était un homme honnête et qu’il ne faisait pas partie de ces salopards qui brisent leur couple en un claquement de doigts.

À 16 ans, tu vis donc ta première blessure au cœur. Tu découvres la douleur et la désagréable sensation de la déception. Ton assurance encore fragile en mange un coup et tu te promets de ne plus jamais aimer. Que ce n’est pas fait pour toi. Qu’après tout, ça ne vaut pas la peine. Puis, comme tout le monde, tu rencontres à nouveau et tu oublies tes chagrins passés. Tu continues donc ta route sur les chemins raboteux de l’amour et accumules les passions et les peines.

Mais on n’oublie jamais son premier amour. Celui pour qui on a vraiment flanché.

J’ai compris que dans la vie, il ne faut jamais perdre espoir. Douze ans après s’être rencontrés, voilà que nos chemins se sont recroisés. Pour de bon. Faut croire que je n’étais pas la seule qui lui avait gardé une petite place dans mon cœur. Une petite place bien protégée en prévision d’un sait-on jamais. Il est certain que mes relations passées en ont subi les conséquences, car mon cœur ne leur était pas totalement destiné. On peut dire aussi que c’était complètement insensé de se nourrir d’autant d’espoir pendant aussi longtemps, mais était-ce là un signe du destin?

J’aime croire que oui.

Aujourd’hui, nous voilà ensemble à partager enfin plus que des regards et des bines amicales sur l’épaule. Nous voilà maintenant ensemble à partager un bonheur et une espérance tant désirés. Nous voilà maintenant ensemble, douze ans plus tard, à attendre le fruit de notre amour qui viendra cet été. Ce petit homme qui aura la chance de naître dans une famille comme la nôtre, dans une histoire qu’est la nôtre.

Aujourd’hui, je ne regrette en rien d’avoir vécu les montagnes russes des douze dernières années. Oui, elles m’auront parfois donné la nausée, mais elles m’auront tout de même ramené au point de départ que j’espérais tant. Et, je ne remercierai jamais assez ma meilleure amie (et la vie, de ne pas avoir chopé une maladie infectieuse) qui aura eu le culot de me traîner dans ce sous-sol trash et ancien bar de danseuses. J’en garde des souvenirs mémorables.

[Source de l’image: All Star Converse par SplitShire]

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