Réel contre virtuel

Depuis maintenant presque huit mois, j’enseigne sur une île isolée, coupée du réseau cellulaire et de la route.

Pour plusieurs, les mots « coupée du réseau cellulaire » en sont déjà assez pour les faire reculer de dix pas + demi-tour devant un tel projet. Je me rappelle qu’en arrivant, j’avais encore comme réflexe de regarder mon téléphone assez souvent et de me promener comme une perdue avec un GPS pour essayer de trouver un réseau inexistant. C’était brillant mon affaire; j’imaginais qu’un miracle allait arriver et que la lumière Wi-Fi divine m’illuminerait.

C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’étais bel et bien seule (et qu’il n’y avait officiellement pas de réseau sur les 10 km2 carrés de l’île). C’était à la fois angoissant et beau. Et si quelque chose m’arrivait? Si je vais cueillir des bleuets et qu’un ours me watch pas trop loin? Ou que ma motoneige tombe en panne à des kilomètres du village, puis que le choke embarque pas et que mes talents de mécanicienne ne sont pas encore assez au point pour régler le problème? Panique intérieure, mais qui sert à rien parce que, anyway, je pourrai même pas appeler le 911.

Dans le monde occidental normal de base, il y a des solutions rapides à tout :

Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on se perd? On ouvre Google Maps.

Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on veut se divertir en attendant le prochain métro? On ouvre un petit jeu à la Candy Crush pour essayer de se rendre plus loin que son ami Jean-Guy, rendu au Level 247.

Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on veut prendre des nouvelles du monde? On va sur Facebook ou Instagram; gros party/melting pot de connaissances de partout, puis vous pouvez faire les mêmes affaires qu’à une soirée : vous demander comment ça va et vous montrer des vidéos de chats (à l’exception près que tu peux rester en pyjama avec tes chips puis tes pantoufles fluffy x 20).

Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on aimerait peut-être une relation/des petits moments avec une personne spéciale? Tinder alias « Tiens-des-gars-pour-toi-qui-se-sens-seule » (sauf que tu n’as pas besoin de te préparer; ton compte Instagram avec ses filtres ont déjà fait les trois quarts de la job pour te donner le look parfait, you go girl!). Maintenant, on n’a même plus besoin d’aborder une personne qu’on croise dans la rue et qui semble nice, grâce à Happn! Parler, c’est tellement rendu mainstream.

Sans cellulaire, tu réalises que tu ne peux compter que sur toi-même et ceux qui partagent le moment avec toi.

La vie d’ici me ramène à l’essentiel. Lorsque je me perds, je demande ma route à quelqu’un; lorsque je veux me divertir, je vais dehors dans ce méga terrain de jeu qu’est la vie et lorsque je veux rencontrer quelqu’un (OK, les possibilités sont quasi nulles), je vais à l’épicerie et j’ai juste pas le choix d’aborder la personne en lui demandant à quel endroit se trouvent les choux. Puis là, j’ai l’air tarte parce que c’est tellement petit comme épicerie que c’est généralement à deux mètres de moi.

C’est beau quand tout n’est pas simple : demander sa route et communiquer face à face avec les gens, ça nous rapproche beaucoup plus que ce que les cellulaires peuvent nous permettre de faire. Décrochez un peu; dans tous les sens du terme. Rencontrez, discutez, et soyez fiers de ce que vous êtes.

Instagram et Facebook, ça ne peut pas montrer aux autres votre petit côté sarcastique et votre rire trop weird qui, au bout du compte, est vraiment cute. Ça peut pas montrer votre écoute et votre empathie lorsque votre amie Sophie s’est confiée à vous quand elle s’est fait péter le cœur par Josh, le gros tata qui l’a laissée là pour la énième fois. Ça ne montre pas vos qualités ni vos défauts. C’est neutre. Et entre vous et moi, qui veut des amitiés de même?

Connectez-vous à la vie et aux gens en vous déconnectant de tout ce qui prétend vous connecter, parce que ces beaux mots utilisés pour nous dire que ça nous rapproche et que ça nous relie, ça s’appelle du marketing.

[Source de l’image: picjumbo]

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