Cet espèce de faux sentiment d’invincibilité. D’être sur son X. Ces moments de la vie où tout nous sourit, où on a la répartie facile, l’humour cinglant, où on a qu’à être nous-même et que tout va bien. Trop bien. Nous ne sommes jamais aussi vulnérable que dans ces moments-là. On baisse notre garde. On a l’impression que rien ne peut nous atteindre. Et pourtant… c’est là qu’on glisse, qu’on commet des gestes surprenants. On s’abandonne…
Avoir l’impression d’être au sommet du monde l’instant d’une soirée. Mon nom sur un écran de cinéma. C’est la même histoire qui se répète. Le même bar d’après-visionnement. Deux ans plus tard. À tout près d’un mois d’intervalle. Un novembre chevauchant octobre. Un octobre chevauchant septembre. C’est un automne soudain. Emmenant avec lui dans mes bronches le froid. Et un rhume foudroyant. Je suis congestionné. Et comme j’ai passé la journée dehors à incarner Superman pour des enfants au lieu d’être frissonnant au plus profond de mon lit enseveli de papiers-mouchoirs le chest badigeonné de Vicks, bourré de tisane au gingembre et citron, je me retrouve au bar ce soir-là avec une merveilleuse extinction de voix. Je dois donc rivaliser d’ingéniosité pour communiquer avec mes pairs : je suis un virtuose du mime, certains se révèlent excellents pour lire sur les lèvres et dans les esprits, et écrire des messages sur mon cellulaire devient une alternative envisageable et salvatrice.
Mon sex appeal est à son comble. Comment puis-je rester désirable, voire davantage, en étant un microbe ambulant? Cela appartient au domaine de l’inexplicable. Même la barmaid, fabuleuse femme d’une beauté indéniable avivant mes sensibilités (je n’ai aucune chance d’y résister, les serveuses exercent sur moi un charme quasi automatique, l’aura qu’elles dégagent en démontrant leur capacité à gérer et à rester en contrôle me fascine, et celle-ci est loin d’échapper à la règle), prend sur elle de me dorloter entre deux shooters en m’amenant des tasses d’eau chaude citronnée avec du miel. Je suis en amour. Et oui, un peu irresponsable, mais ça, c’est pas une surprise. J’ai même réussi à me convaincre dans une zone sombre de ma raison que l’alcool fort va se charger de tuer mon rhume. Grave erreur.
Après avoir dansé un peu partout dans la place, porté une fille au-dessus de mes épaules à la grandeur du bar, avoir affronté un ami en duel de kung-fu et m’être laissé masser par un gars louche, je me retrouve le visage dans l’entrejambe d’une jeune et jolie demoiselle. Ça fait à peine quelques heures qu’on se connaît et on a à peine discuté. À ma grande surprise, elle ne me repousse pas et y prend même un malin plaisir… alors autant laisser mes mains lui parcourir délicatement le corps… son dos dénudé, ses épaules et sa longue nuque dévoilée, quelques passages furtifs le long de sa colonne vertébrale, sur son ventre, ses petits seins libres, le galbe de ses fesses. Des animaux enivrés. Tout ça sans avoir prononcé une seule parole.
Je me retire dehors, respirer l’air frais, reprendre mes esprits… j’ai de la difficulté à concevoir ce si rapide abandon. Il n’y a donc aucun interdit en vigueur ce soir? Tout est permis? C’est aussi grisant qu’effrayant. Je décide d’en rester là et de me calmer. Son amie m’apprend alors qu’elle est en couple.
Évidemment. Gérez-vous bon sang!
On déménage, ça se fait aller le karaoké. Je reste en retrait, je deviens le confident tranquille, l’oreille des dérapés éthyliques. Objecteur de conscience des textos échappés aux ex, des dérives amoureuses et des faux espoirs. Je suis là, mais je flotte hors de mon corps, conscient malgré la fatigue, le rhume et l’alcool fort. Il est temps pour moi de tirer ma révérence. À ma sortie, je croise la fille que je dévorais plus tôt. Sans réfléchir, je la plaque contre un mur, rassemble toutes mes forces pour lui dire tout bas au creux de l’oreille : « Toi, je te ferais l’amour. » Je l’empêche de m’embrasser, je voudrais pas qu’elle pogne mon rhume t’sais. Puis je m’éclipse dans la nuit avec l’espoir que l’alcool efface toutes traces de cette soirée dans sa mémoire.
Ce n’est pas que je sois fier de cet événement. C’est plutôt qu’il me questionne. C’était une soirée sans résistance. Vous savez, quand les peurs s’éclipsent? Encore une fois, je me suis vu agir. Je me sentais hors de moi, incrédule face à ce qui se passait. Surpris par mes agissements, mon calme face au déroulement des choses, et surtout par la simplicité dans la réception de ces gestes. Pourtant, ça ne revêtait rien de spécial dans la manière dont je le ressentais. Sans me sentir vide, je ne me sentais pas non plus transporté à outrance, mais juste présent. Profitant de ce qui passe. C’est un sentiment bien étrange. Peut-être est-ce simplement ça, profiter des moments qui passent…
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