Les foudroiements éphémères

Il fait nuit. Il fait chaud. Un œil brillant. Un sourire éclatant. Une gorge déployée. Une jupe fleurie au vent. Des bouclettes brunes tourbillonnantes. De belles jambes fines et musclées, pédalant au rythme de mon cœur emballé.

Encore à ce jour, cette fille occupe une place unique dans mes souvenirs. Probablement l’une des plus jolies, sensibles et intelligentes. Pourtant, ce moment suspendu que nous avons partagé n’aura duré que le temps d’une soirée…

** *

Une fraîche nuit d’été, nous sommes seuls au monde. Les vagues du fleuve Saint-Laurent sur les rives du Vieux-Port de Montréal font danser les reflets de la lune sur nos visages illuminés. Plonger mon regard dans les yeux de cette fille me provoque invariablement un vertige et une attraction exponentiels. Je la croquerais doucement. Avec autant de ferveur et de passion que de douceur et de tendresse. Je ne souhaite qu’une seule chose, c’est de laisser le revers de ma main caresser ses pommettes rondes et douces, et de les envelopper de ma paume chaude. Ah et cette autre seule chose, d’y apposer légèrement mes lèvres. Et de laisser le bout de mes doigts naviguer le long de ses cuisses dénudées et brillantes. Et d’enfouir mon visage contre le sien. Et de…et de…et de…

Nous sommes pratiquement seuls vu l’heure tardive. Après être allés entendre l’écho de nos voix s’entremêler dans les silos, la belle brune nous entraîne dans une aventure interdite : on s’infiltre par effraction sur le terrain privé d’un spa. Après avoir franchi le grillage d’entrée, on se retrouve dans une aire de repos, allongés sur les chaises longues, bronzant à la lune. Sa peau d’été semble être d’une douceur incomparable. Les traits de son visage sont d’une délicatesse désarmante.

Je me risque : « Tu es belle. » Simplement. Sans superlatif. Elle refuse platement ce simple compliment. Elle le sait. On lui a déjà dit. Et questionne la pertinence de ce genre de commentaire. Je la désarme : « Tu n’as pas le droit de m’interdire de te trouver belle. D’abord, c’est hors de ton contrôle, et du mien d’ailleurs. Ensuite, un compliment est un compliment. Sa fréquence ne devrait pas lui enlever son pouvoir. » Elle écarquille les yeux. On parle. De tout. De rien. On philosophe à des degrés rarement atteints avec d’autres filles.

Je l’invite dans une des tentes dédiées aux massages. Nos intentions sont claires. Je compte la masser, jusqu’à la limite du supportable, et résister à lui empoigner les fesses de tout notre désir contenu. Déjà, nous avons pénétré ladite tente, et elle s’est allongée sur le ventre. Je m’apprête à la masser, les mains en suspens, le souffle coupé, quand la porte s’ouvre et qu’une lumière vive nous aveugle. C’est le gardien de sécurité: « Vous n’avez pas vraiment le droit d’être ici. » Cette phrase est dite accompagnée d’un large sourire gêné. J’imagine bien le gardien trouver deux amoureux aventureux pris en flagrant délit, des yeux de biche innocents, des sourires charmeurs, deux p’tits criss qui se sortent toujours de tout à cause de leur candeur feinte. Le pauvre… il n’avait aucune chance. On s’excuse en souriant et on feint de se diriger vers la sortie.

Quand finalement on se retrouve sur le bord de l’écluse (toujours sur le terrain privé du spa, incorrigibles enfants de l’amour). Elle a un copain. Elle est en pause. Elle vit régulièrement des remises en question; il est assez compréhensif pour lui laisser l’espace nécessaire pour les vivre. On parle de polyamour, de monogamie, de destin… Je me surprends à acquiescer à tout ce qu’elle dit, non pas parce que c’est elle, mais parce que je partage réellement ce qu’elle me dit. Mais (il y a un mais) malgré le fait que j’en suis à me dire que oui, moi aussi j’ai envie de vivre mes amours librement, sans attaches, tout ce qui se crie dans ma tête, c’est : « Mais maintenant, je ne souhaiterais qu’il n’y ait que toi. » Je tais cette voix. Et je continue à fantasmer en l’écoutant parler.

Le gardien de sécurité nous surprend à nouveau et cette fois-ci, on comprend qu’on a brûlé toutes nos chances. On quitte. La soirée tire à sa fin. Je n’ai qu’un désir, l’embrasser. On marche côte à côte, avec nos vélos. Et au moment de se séparer, je lui dis : « J’aimerais beaucoup t’embrasser. » Elle dépose son casque, s’avance vers moi et dépose sur mes lèvres le baiser le plus tendre que j’ai reçu de ma vie. Tout en moi se met à fondre. Je reste immobile. Elle remet son casque, enfourche son vélo. « Au revoir.

-Au revoir. »

Le dernier souvenir que j’ai d’elle, c’est sa jupe tournoyante, s’enfonçant dans la nuit à toute allure chevauchant sa bicyclette. Je suis resté là à la regarder pendant un bon moment. Jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un petit point à l’horizon. À ce moment précis, quelque chose en moi savait que c’était la dernière fois que je la voyais. Ou qu’en tout cas, ce que nous avions vécu cette soirée-là n’allait exister que dans ce moment éphémère. J’ai enfourché mon vélo, regardé au sol, pris une grande inspiration, relevé les yeux au loin, et me suis remis en route, en sens opposé.

 

[Source de l’image: Pixabay]

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