Monologue d’un corps féminin

Je suis un corps en constante réflexion. Aujourd’hui, je me pose beaucoup de questions. Demain, je me sentirai mieux, peut-être. Mon bien-être va selon les journées qui passent.

Je suis un corps pudique qui se sent submergé par la différence. Je ne fais pas partie de ceux qui ensorcèlent le regard des autres grâce à leurs atouts physiques. Je refuse d’être la pièce de viande dont on a envie de se délecter avec délice. Je ne veux pas faire partie de cette société consommatrice de chair.

Je suis un corps pudique qui aime croire qu’il peut attirer autrement. Par ses airs mystérieux, peut-être. Je suis un corps qui analyse trop, qui cherche à comprendre ce qu’il est pour le sexe opposé. Mais mes premières observations sont décevantes. Il fallait s’y attendre, néanmoins.

J’ai compris qu’une nouvelle flamme, c’est la découverte des corps. C’est l’inconnu, et nous sommes tous attirés par ce que l’on ne connaît pas. Devant cette nouveauté, le corps devient en soif d’amour, en soif de sexe. Il devient curieux et laisse sa gêne de côté. Il veut connaître chaque parcelle du corps qu’il rencontre. Découvrir chaque centimètre de peau qui lui procure du plaisir. Il veut sentir les frissons de la chair à laquelle il s’unit, respirer la chaleur du souffle différent du sien. Les corps se fondent l’un dans l’autre. C’est leur unique intérêt, ce à quoi ils pensent chaque minute.

Les corps entrent alors dans une grande valse. Une danse lascive, mais compétitive, où chacun d’eux souhaite être le plus beau, le plus séduisant. Ils veulent plaire et tentent de devenir le corps que l’autre n’a jamais eu la chance d’admirer. Ils entrent avec confiance dans la danse de la séduction. Ils ordonnent à leurs yeux d’être coquins, à leurs mots d’être érotiques. Ils deviennent soudainement téméraires, ce qu’ils n’ont pas l’habitude d’être. Mais, grâce à cette flamme nouvelle, ils adoptent une nouvelle personnalité. Ils se sentent puissants et irrésistibles. Ils s’ouvrent sans crainte à l’autre corps pour ne faire plus qu’un. Séduits par cette chimie inédite, ils décident alors d’allier leur corps pour toujours.

Le corps, jadis pudique, prend nouvellement confiance, et c’est dans l’intimité qu’il ose dévoiler quelques-uns de ses magnifiques atouts. Fier de ce qu’il partage, il s’ouvre aveuglément à l’autre corps. N’ayant plus peur du rejet, n’ayant plus peur d’avoir l’air ridicule, il se laisse aller et vit en harmonie avec l’autre.

Hélas, cela ne dure pas éternellement.

Voilà que la routine les rattrape. Ils connaissent maintenant chaque recoin de leur corps. Il n’y a plus de surprises. La nouveauté s’est envolée, et la prévisibilité s’est installée. Les corps se connaissent trop bien. La séduction a laissé place à autre chose. Ils se désirent encore, mais ils ont maintenant l’habitude de se croiser nus entre deux pièces. Parfois, ils se sourient amoureusement. D’autres fois, ils se blottissent tendrement l’un contre l’autre, comme deux aimants qui s’approchent trop près. Mais, la plupart du temps, ils se contentent de se saluer au passage, occupés à autre chose.

La magie charnelle s’est estompée.

Les corps d’aujourd’hui, devant cette perte de nouveauté, prennent peur. Pour eux, il n’y a plus de sensations assez puissantes pour rester, alors ils fuient. Ils ressentent le besoin pressant de s’enivrer d’un nouveau physique, d’une nouvelle sensualité. Et, c’est là que j’ai constaté que nous vivons dans une ère de consommation rapide. Une société de fast-food corporel. Une clientèle difficile qui veut consommer sans gras, sans sucre et sans calorie, mais qui ne veut pas dépenser davantage que pour un McValeur de chez McDo. Et, puisqu’ils consomment de la chair vide de nutriments, ils s’empressent de commander autre chose. Ils sont alors en perpétuelle chasse au corps pour satisfaire un appétit qu’ils ne rassasieront jamais.

Je suis un corps féminin qui refuse d’être victime de cette tendance de société. Comme tous, j’ai eu soif de découverte, soif d’amour et soif de sexe. Mais, une fois désaltérée, je veux découvrir l’intérieur. Je ne me contente plus que de la chair de l’autre, mais aussi de ce qu’il y a en dedans. Je cherche à apercevoir, dans l’autre corps, des tripes vibrer d’émotions, un cœur se gonfler d’amour et un estomac rempli de papillons. Je suis un corps qui a besoin de plus que d’un simple physique. Il veut découvrir l’âme de l’autre. Fusionner à un deuxième niveau.

Je suis un corps qui vit sa propre tendance. Je suis un corps vieux jeu, peut-être, mais sans aucun doute plus vrai. Et j’en demande tout autant pour le corps qui partagera l’intimité du mien. Plus difficile à trouver en 2016 me direz-vous, mais encore possible. Promesse de Chasseuse!

[Source de l’image: Marie-Andrée Lemire]

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