C’est terminé. Terminé comme une vague d’eau sèche qui roule sur ton cœur pour former un deuxième désert du Sahara. Tu arrives chez toi, un peu triste, un peu fatiguée. Machinalement, tu ouvres ta page Facebook et tu fais défiler ton fil d’actualité. C’est alors que ton cœur bat un peu plus rapidement. «M’a-t-il supprimée de ses amis?» Même si tu n’as jamais cru en Dieu, tu pries inconsciemment vraiment fort pour qu’il ne l’ait pas fait. Il ne faudrait quand même pas exagérer, ça fait à peine deux heures que tu as quitté son appartement.
Le premier coup de poing violent survient lorsque tu vois : «Ajouter en tant qu’ami». Tu n’as plus accès à quoi que ce soit, alors que tu faisais partie intégrante de ses publications des dix derniers mois. «Ajouter en tant qu’ami», comme pour te narguer. Comme si ton écran d’ordinateur te ricanait en plein visage en te disant : «Tu vois, c’est terminé pour vrai». Tu ne peux même plus voir sa liste d’amis. Terminé, l’espionnage que tu faisais de temps à autre en terme de contrôle de qualité. Rares sont les messages plus violents qu’un banal retrait d’une liste d’amis. On en minimise souvent les impacts («C’est juste Facebook, on s’en fout»), jusqu’à temps que ça nous arrive. T’auras beau actualiser sa page trois cents fois, rien de nouveau ne va apparaître.
Tu seras alors tentée de le bloquer, le problème étant que si tu le débloques par la suite, il aura 48 heures pour savoir que tu l’as débloqué. En théorie, s’il est passé à autre chose, il ne devrait pas être intéressé à aller voir ta page (surtout qu’il t’a supprimée, tsé), mais la vie étant ce qu’elle est, les chances seront assez élevées qu’il veuille aller la voir pour satisfaire sa curiosité. De quoi t’aurais l’air s’il savait que t’avais été faible au point de le bloquer pour ensuite le débloquer? Rendu à cette étape, l’orgueil décide de prendre beaucoup de place. T’as surtout pas envie d’avoir l’air de la personne incapable de passer à autre chose.
Tu répètes ensuite le manège sur Instagram. Évidemment, il a cessé de te suivre. Mais toi, tu as encore accès à son compte, puisqu’il est public. Tu fais alors ce que tu faisais parfois: tu regardes avec qui il est devenu «ami» récemment. Tu perds des heures à aller sur le profil de chacune des filles auxquelles il s’est abonné ces derniers temps et tu regardes leurs photos récentes pour voir qui les a «likées». C’est alors que tu remarques qu’il a aimé les photos de cette fille et qu’elle a aimé les siennes en retour. Quiconque prétendant ne pas avoir d’imagination n’a jamais vécu de peine d’amour, je vous le garantis.
Tu les imagines s’envoyer en l’air et aller au restaurant. Tu imagines qu’il la présente à sa mère et à ses amis et qu’ils s’entendent tellement mieux avec elle qu’avec toi. Dans ta tête, il est heureux comme il ne l’a jamais été et ce, même s’ils ne se verront probablement jamais. Tu mets alors ton profil public pour qu’il puisse voir tes futures publications. Sans même t’en rendre compte, tu entres dans le jeu.
Si tu n’habites pas en ville, tu vas soudainement proposer à tes amies de sortir à Montréal pour pouvoir prendre des photos avec la mention «Soirée avec mes #bff. So much fun». Inconsciemment, il se peut même que tu fasses des trucs qui l’auraient fait chier alors que vous étiez ensemble (des trucs que tu n’as peut-être même pas réellement envie de faire): aller prendre un café avec ce gars qu’il n’aimait pas et publier une image sur Instagram (t’as pas mis ton profil public pour rien), faire des selfies tout sourire pour quêter des «J’aime», commencer à t’entraîner, etc.
Tu te découvres soudainement un intérêt marqué pour la marche en forêt alors que tu soupirais toujours lorsqu’il te demandait de l’accompagner pour une balade. Le tout, pour lui donner l’impression que tu deviens la fille qu’il souhaitait tellement que tu sois lorsque vous étiez ensemble.
Vient ensuite le moment où tu t’inscris sur des sites comme Tinder. Tsé, t’es tellllllement passée à autre chose. Pourtant, t’espères vraiment ne pas tomber sur sa photo en swipant. Tu sais que ton cœur flancherait si tu voyais la photo que *tu* avais prise lors de votre dernier voyage et que cette photo était justement utilisée pour rencontrer… une autre fille que toi. Rencontrer des gens ne mène pas à grand-chose. Le vide que tu ressens en les voyant ne fait que t’asséner une claque de plus dans le visage : t’es pas passée à autre chose.
Toutes ces raisons expliquent pourquoi nous semblons croire que de surmonter une peine d’amour soit chose impossible, aujourd’hui. Bien que je ne sois pas fervente des «Avant c’était mieux», je dois concéder qu’avant, t’avais pas vraiment le choix de passer à autre chose, lorsque c’était terminé. Tu n’avais pas le (non) luxe de savoir que l’autre, s’il lisait ton message, faisait tout de même le choix de ne pas te répondre. Tu n’avais pas le petit «Vu à 13 :48». Un vu lancé à l’univers, sans réponse. Au mieux, t’avais une adresse courriel. Tu avais MSN. Tu pouvais alors t’imaginer qu’il avait changé d’adresse. Aujourd’hui, c’est carrément écrit à deux pouces de tes yeux : «Je fais le choix de t’ignorer». Pas facile.
Avant, le visage de la personne devenait un souvenir flou, pâli par le temps qui passait. Aujourd’hui, tu peux savoir de quoi elle a l’air en temps réel. Tu n’as qu’à taper son nom pour voir son visage apparaître. Tu sais ce qu’elle fait, où elle vit, dans quel programme elle étudie. Même si elle fait maintenant partie des meubles, elle fait aussi partie de la liste de personnes que tu stalk à l’occasion. Juste pour voir. Et c’est ce «juste pour voir» qui nous donne toujours le sentiment de vivre dans le passé. Si l’autre semble au même endroit, ça nous rassure. On se dit que nous, on est tellement rendues ailleurs. Mais si c’est lui qui est rendu ailleurs, c’est alors nous qui avons l’impression d’être restées coincées au même endroit (dans le passé).
On passe plus temps à vouloir que l’autre sache à quel point on est mieux sans lui, que de temps à travailler pour être réellement bien avec nous-mêmes.
*Le féminin a été utilisé pour alléger le texte, mais je sais pertinemment qu’autant d’hommes agissent de la même manière.
[Source de l’image: Séparation par Stefano Corso]