Transmettre une tradition

Mon plus beau souvenir de Noël vient de quand j’étais petite. Ça sentait le feu de foyer, mon grand-père jouait de la musique dans le sous-sol; ma grand-mère riait, les joues rouges de vin et d’amour. Nous, les enfants, on n’aimait pas tant ça, l’accordéon, mais à Noël, c’était la tradition.

Il y avait tellement de trucs à manger qu’on n’avait jamais faim, rendus au souper. J’avais des Ferrero Rocher dans les poches de ma robe de velours rouge : les emballages vides d’un côté, les chocolats neufs de l’autre. Mes pieds de bas collants blancs étaient sales parce que je courais dans la maison depuis le matin, excitée. Je n’étais pas une grande fan des cadeaux que je recevais : les mêmes pyjamas que ma sœur, mais dans une autre couleur, des jeux pour enfants surdoués de la part de mon oncle ingénieur… On n’était pas riches, mais ma grand-mère confectionnait toujours des nouveaux vêtements pour mes Barbie. J’avais même déjà reçu un set de salon complet, une fois. Des fauteuils, une causeuse… Tous faits de bois par mon grand-père et recouverts d’un beau tissu rose, par ma grand-mère. Je pense n’avoir jamais aimé quelque chose comme j’ai aimé ce mobilier-là.

Adolescente, je me suis matchée et j’ai lutté pour que mon chum vienne dans ma famille à Noël, en vain. Les chansons d’accordéon, ça ne se partageait pas comme ça. C’était précieux. Mon chum me donnait des belles affaires qui brillaient : des bijoux, des billets de spectacle, des voyages. J’allais dans ma famille, seule, et je bougonnais. Tout avait l’air cheap. Des Ferrero Rocher qui goûtaient la pharmacie, des cadeaux faits à la main jamais assez beaux.

Puis, un matin de janvier, mon grand-père est parti. En silence, épuisé d’avoir trop joué, après s’être trop battu contre la maladie. Plus d’accordéon, plus de fêtes dans le sous-sol. Comme dans plusieurs familles, le décès d’un père a divisé les troupes; ma mère avait toujours haï mon oncle ingénieur, anyway. C’était la fin; le père Noël était mort.

Aujourd’hui, je suis amoureuse d’un homme pour qui Noël, c’est la magie. Ensemble, on sait qu’il faut faire attention, se souvenir des traditions. Il ne faut rien prendre pour acquis, travailler fort, faire des meubles de Barbie en bois. On choisit de mettre de l’amour dans les bas de Noël en laissant les bijoux aux autres.

C’est sûr que la vie n’est plus comme quand j’étais petite, mais entre les partys de Noël qui ne me tentent pas et les joues rouges de vin et d’amour, je ferme les yeux vraiment fort juste pour entendre l’accordéon, encore.

Source de l’image: Christmas Angels par Roman Drits

 

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