Ça va bien aller

Je sais que t’as pas envie de te lever. Tu resterais couchée plus longtemps que la Belle au bois dormant si tu pouvais, parce que de toute manière, t’as l’impression que même dans 100 ans, aucun prince charmant sera là pour te réveiller en te disant que c’est toi qu’il attendait depuis tout ce temps-là. Ça, où l’impression que même 100 années seraient insuffisantes pour tourner la page sur celui qui est parti.

T’es pas certaine de comprendre. C’est vrai que ça allait moins bien ces derniers temps, mais de là à partir comme ça… Tu ne sais pas trop. Il est vrai que tu y pensais toi aussi, mais tu y pensais comme tu aurais pu penser à l’idée de préparer du boudin pour souper, c’est-à-dire, une possibilité qui va rester au stade de la possibilité. T’avais plus envie de croire que ça pouvait fonctionner malgré tout. Faut croire que vous n’aviez plus le même registre d’espoir.

T’as l’impression de revivre la scène en boucle, celle où il te dit que c’est terminé. L’instant où tu te segmentes en mille pièces. Tu ne sais plus trop comment les emboiter les unes dans les autres, les pièces. C’est comme si vous jouiez à Kerplunk, et que toutes les billes étaient tombées d’un seul coup (pour celles et ceux ne se souvenant pas en quoi consiste le jeu Kerplunk, il s’agit de la tour en plastique dans laquelle sont insérés des bâtonnets de plastique empêchant de faire tomber la montagne de billes étant positionnée sur le dessus. Celui faisant tomber le plus de billes perd). Il a retiré la tige cruciale, celle qui faisait tout tenir ensemble. Si au moins il en avait enlevé une autre, les quelques billes tombées auraient pu servir de prétexte à discuter. Vous auriez pu essayer de sauver la tour avant qu’il ne soit trop tard, mais non. Tout est tombé, votre belle tour n’est plus, et ça a fait un vacarme d’enfer. T’avais juste envie de lui crier : « C’est toi qui est censé avoir perdu! C’est toi qui a fait tomber les billes! Pourquoi c’est moi qui ressens le sentiment d’échec, hen? Pourquoi? EILLE! »

T’as encore de la difficulté à savoir si t’étais devenue sourde momentanément, le bruit de l’explosion ayant été trop fort, ou si t’avais juste pu envie d’entendre. Car entendre aurait signifié écouter, et t’avais pas envie d’écouter ce que la situation avait à te raconter. Tu voyais juste les billes répandues par terre et t’essayais de ne pas tomber une deuxième fois en marchant dessus, supposant le fait que tu te relèves un jour.

Les jours ont passé. Tu t’es relevée. T’as encore besoin de ta canne, mais tu te redresses, et c’est l’important. T’as recommencé à te brosser les cheveux et à prendre ta douche sans te laisser choir dans le fond de la baignoire en laissant l’eau te couler dessus jusqu’à temps que la tinque soit aussi vide que toi. T’as pu envie de rester dans le bain 2 heures en espérant que ça noie ton chagrin. Tu fais des progrès.

Couchée dans ton lit, tu regardes tout de même ton cellulaire souvent. Trop souvent. T’as l’impression que ton iPhone te nargue à chaque fois avec son « Viens, on va discuter. Je réalise que tu me manques <3 » aussi présent que la neige à Madagascar. Tu vas voir sa page Facebook et son compte Instagram beaucoup trop souvent aussi. Tu l’as bloqué une fois, mais ça a été plus fort que toi, et tu l’as débloqué deux jours plus tard. Avec la règle Facebook ne permettant pas un re-bloquage instantané après le déblocage, tu t’es sentie niaiseuse et t’as espéré fort qu’il ne l’ait pas remarqué.  « Mais comment fait-il pour avoir l’air si heureux? » Est-ce qu’il a juste l’air ou il l’est vraiment, t’en n’as aucune idée. Et c’est qui cette fille qui n’arrête pas de commenter ses affaires depuis que vous n’êtes plus ensemble? Tu vas voir sa page (t’sais, tant qu’à faire) et tu vois que le likage est pas mal réciproque. Là, tu t’imagines des scénarios débiles dans lesquels lui et elle se marient la semaine prochaine et ont un bébé dans 9 mois. Tu t’imagines qu’il est heureux comme il ne l’a jamais été et t’as peur qu’il réalise qu’au fond, il croyait savoir ce qu’était l’amour avec toi, mais qu’il réalise avec elle à quel point il se trompait.

Arrête de faire ça, c’est de la torture (même si je sais que tu n’arrêteras pas).

Tu écoutes Bruno Mars et Adèle en loupe. Chaque chanson te rappelle un ou des souvenirs. Tu pleures tellement que tu ne comprends pas que les larmes puissent encore couler. Tu fais un recensement de toutes les choses que vous deviez faire et qui resteront sur la liste que vous aviez imaginée les soirs de bonheur où tout était chaud même si l’hiver grondait à l’extérieur. Les soirées où vous étiez encore à l’intérieur, bien enroulés dans vos « On va être correspondants de guerre, on va aller étudier à Paris et voyager au bout du monde. On va avoir des enfants, 2 ou 3, et on va se marier. On va être heureux ».  Vient ensuite le recensement de toutes les choses que tu faisais lorsqu’il était là, et que tu ne fais plus : t’entraîner, rire, te maquiller, prendre soin de toi, voir tes amies, manger. Ouin.

Puis vient le moment insidieux de la compétition. Celui où tu réalises que si t’avais quelqu’un, tu serais contente pour lui et la fille qui n’arrête pas de le liker. Tu t’en ficherais. Mais t’as personne. T’as envie d’être celle qui va passer à autre chose en premier, mais ça ne fonctionne pas comme ça, et tes agissements démontrent que t’es encore bien accrochée. On ne choisit pas nos émotions. Il n’est pas meilleur que toi parce qu’il est ailleurs, et tu n’es pas plus faible parce que tu es encore ici. C’est comme ça c’est tout.

Tu te demandes combien de temps ça va durer. Je ne sais pas combien de temps ça va durer, mais comme j’ai déjà dit à ma petite sœur : « Ce qui est beau avec les peines d’amour, c’est qu’elles durent toujours le temps qu’il faut. Tu vas te réveiller un matin et ça va juste bien aller. »

[Source de l’image : my sweet freedom par Victor Bezrukov]