Mon trip à trois

Voyager, c’est beau, c’est doux. Mais quand on voyage avec un couple, la réalité du voyage change un peu. On a beau être en compagnie d’amoureux qui ne sont pas collés l’un sur l’autre 24 h/24, reste qu’ils sont à eux-mêmes une microsociété. Ils n’ont même pas besoin de faire des phrases complètes pour se comprendre. Souvent, ils partent à rire sans aucune raison apparente pour nous, mais qui pour eux, fait tout son sens.

Voyager avec un couple, c’est les voir se coucher l’un contre l’autre avant de dormir, en trouvant que son propre lit est beaucoup trop grand. C’est se réveiller trop tôt le lendemain et devoir les attendre, parce que la chaleur de leur corps les garde au chaud et qu’ils ne désirent pas perdre une seconde de ce moment. C’est réaliser tout ce qu’on n’a pas, voir à quel point la vie à deux peut être agréable, entendre des fous rires sans pouvoir y participer, parce qu’ils leurs appartiennent.

Voyager avec un couple, c’est un rappel constant de tout ce qu’on essaie d’avoir, mais qui nous passe entre les doigts. C’est vouloir être plus comme elle pour être moins comme soi. C’est se dire un peu trop souvent que le bonheur, c’est pour les autres. C’est se sentir seule même si on ne l’est pas. Même s’ils font tout pour ne pas qu’on se sente de trop, c’est se sentir inévitablement de trop. C’est pleurer en cachette en ne comprenant pas pourquoi on n’y a pas droit, nous aussi. C’est remettre en question tous les choix qu’on a faits et toutes les relations qui n’ont pas fonctionné.

Un couple en voyage est différent d’un couple dans la vie de tous les jours. Le bonheur, ça leur sort de partout. Ils n’ont qu’une seule envie, celle d’être heureux et de partager leur bonheur avec leur amoureux. Il y a des regards échangés dont on est témoin, un peu gêné : regard attendri que l’un pose sur l’autre alors que ce dernier ne le regarde pas. Ça fait se sentir un peu voyeur et pas à sa place. Voyager avec un couple, c’est avoir l’impression d’être témoin de moments qui auraient dû leur être réservés à eux seuls. Même si les conversations étaient à trois, même s’ils ne me laissaient jamais marcher derrière, même si nous étions un trio la plupart du temps, le reste du temps, j’étais celle qui les accompagnait.

Je suis l’amie célibataire. Je suis habituée d’être entourée de couples, d’être la seule en solo. Mais j’avais oublié la différence entre un nouveau couple et un vieux couple. J’avais oublié que la complicité qui est en train de s’installer dans un nouveau couple est inébranlable et surtout impénétrable. À plusieurs reprises, j’aurais voulu m’effacer, leur laisser toute la place pour qu’ils se créent de nouveaux souvenirs à deux. Mais j’étais là, témoin de leur évolution.

Je ne suis pas jalouse de leur bonheur, j’en suis simplement envieuse. Je sais que l’envie, ce n’est pas bien, mais comment faire autrement lorsqu’on nous pitche du gros bonheur comme ça devant nos yeux? Comment ne pas en vouloir une petite partie aussi? Comment ne pas vouloir faire partie des fous rires incontrôlables qui les prenaient par surprise? Comment ne pas se sentir de trop, lorsque nous ne faisons partie d’aucun de ces fous rires?

C’était mon dernier voyage seule avec un couple. Le chiffre 3, c’est bon pour les roses et les diamants, mais ce n’est jamais bon lorsqu’on parle de personnes. Trois amis, trois frères et soeurs; il y a toujours une personne qui se sent, à un moment ou à un autre, de trop.

Même s’ils sont des amis extraordinaires et qu’ils prennent toutes les précautions du monde pour ne pas que je me sente comme la troisième roue, je serai toujours la troisième roue, peu importe le type de couple avec lequel je serai. Et avoir un rappel constant de notre solitude pendant un voyage, ça vient mettre un petit nuage sur le beau qu’on voit. Un petit nuage qui nous suit continuellement pendant le voyage et qui reste, même à notre retour.

 

[Illustration : Yan Thériault]

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *