La phobie de l’attachement

Maintes fois, la nostalgie te tombe dessus comme les premiers froids de février, tu te sens mouillé jusqu’aux os.

L’âme n’y échappe.

Tu n’as rien demandé. Tu as appris à ne plus espérer. Parce qu’il y a dans le froid, un réconfort qui n’a pas de nom.

Ce réflexe moderne frappe de plein fouet ma génération : la phobie de l’attachement. Comme la peur de manger du beurre de peanut quand on est allergique. La peur de crever par inadvertance, par hasard, pour rien, pire : pour l’autre.

Peut-on vraiment mourir pour rien ?

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L’exercice du bonheur effraie.

C’est triste, mais c’est bien réel. On est à la recherche de la moindre bévue, de l’insignifiant cheveu blanc de désespoir, pour nous rappeler à tout moment les grossières faiblesses de notre existence.

À grand coup d’immenses filets blanc, on va à la pêche aux malheurs. Les chalutiers ratissent les moindres recoins de la mer afin de recueillir un peu de misère, de quoi chialer notre pain quotidien, de boire l’eau du bain.

Comme s’il n’y avait pas assez de misère dans le monde, on éprouve le besoin pathologique d’en chercher partout autour de nous, d’en faire la promotion abusive.

À toujours souligner les mauvais coups de son copain, à rappeler à son amie les promesses qu’elle n’a pas tenues, à trouver le nez de sa blonde imparfait, on focalise sans conteste notre énergie sur des éléments insignifiants qui n’ont pas lieu d’être.

Le talent maudit d’exprimer ce qui nous énerve, ce qui nous dérange, ce qui nous enrage en premier lieu au sujet de l’actualité, de notre amoureux, de l’attitude de son petit frère et tout le bataclan est une chimère qu’il faut combattre.

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On fait ses valises à la vue de l’amour qui pourrait faire mal, celui qui est aussi vrai que c’est un marionnettiste qui se cache derrière Bibi. Parce que la vérité fait mal.

On court plus vite que Bruni Surin sur les stéroïdes dans le temps afin d’augmenter la distance qui nous sépare de l’être cher. On bat en retraite quand on a l’impression qu’on pourrait tout perdre : son indépendance, sa solidité et son petit café solitaire le matin.

En présence d’émotion qui nous bouleverse, on préfère se réfugier nu dans l’Igloo. Parce qu’il est plus facile de vivre quand on ne ressent rien, comme une passoire qui pleine de trous ne craint plus les balles. Quand la chaleur de l’autre ne suffit pas à te ramener à la vie, tes rêves et tes ambitions sont prisonniers des glaces.

On blesse facilement les autres avec la pointe d’un iceberg.

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S’attacher à quelque chose, à quelqu’un dans le meilleur des cas, c’est s’offrir un vol direct sans frais vers la souffrance. Cela est inévitable, mais ça ne veut pas dire que le sort en est jeté, qu’il est impossible de battre le casino.

La première chose à faire en pareille circonstance, c’est accepter.

Apprivoiser l’irrémédiable vérité que tout ne sera pas au goût du jour que parfois c’est plus beau sur les photos que dans ton assiette. Mais tu as toujours faim pareille. Je te souhaite également de conserver cachée quelque part en toi une modeste famine qui ne se délogera jamais.

Quand tu auras digéré ta grosse assiette de trucker, que ton ventre menacera de se rompre, tu n’auras probablement plus faim pour quelques temps.

Je te promets que lorsque ton estomac sera vide, tu apprécieras chacune des bouchées de votre amour, que ce soit délicieux, moyen ou famélique.

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Le bonheur est de nature imprécise. Il oscille au gré des saisons, des rires et des efforts. Il ne demande que peu d’audace pour le bénéfice qu’il apporte, mais il a un prix.

Le bonheur est déraisonnable.

Au 21e siècle, l’amour est une bouilloire qui siffle. Par peur de se brûler, personne ne se mouille. Mais tout le monde veut boire du thé.

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