Porno maison

Depuis le temps que je le désire, que je le souhaite, que j’en brûle d’envie. J’en ai parlé à ma femme qui, de son enthousiasme frigide légendaire quand on discute d’exploration sensuelle, a acquiescé les yeux pleins de néant, à ma grande surprise. Ce soir, c’est décidé, nous filmons nos ébats.

Il y a longtemps qu’il manque d’épices dans la recette de notre lit matrimonial et quoi de mieux que d’ajouter un cellulaire à notre missionnaire usuel pour pimenter la chose. Ainsi, au lieu de regarder nos vidéos de vacances à Cap-Chat le samedi soir, nous pourrons replonger dans ce souvenir numérique suave tout en se roucoulant des mots impurs à l’oreille. Une vidéo de vrai plaisir, en tout cas, en ce qui me concerne.

Je recharge la batterie de mon appareil téléphonique (un Sony Erection), car ce n’est surtout pas le moment de manquer de jus quand je déchargerai le mien. Je dépose le dispositif « filmatoir » sur un socle et, afin de me donner d’autres angles pour le montage vidéo, je m’installe la GoPro dans le front. Le cinéphile en moi s’excite! Que c’est enivrant la création, la procréation. Spielberg peut bien aller se rhabiller tandis que moi, je ferai l’inverse.

En l’espace d’un court métrage, je deviendrai le Peter North de St-Amable, le Ron Jeremy de Verdun, le Rocco Siffredi de St-Léonard, le Bruno B. de St-Roch, bref. Je vais cesser les références ici, car je ne voudrais pas donner l’impression que c’est le genre de produit que je consomme lorsque se ferme ma porte. Pour qui me prenez-vous enfin!?

Le soir venu, nous nous exécutons comme à l’habitude, sans entrain ni passion. Cependant, pour le plaisir du futur spectateur au singulier, je tente quelques manœuvres inhabituelles de haute voltige. Je dois me rendre à l’évidence que mon agilité et ma souplesse doivent être parties célébrer leurs 10 ans de retraite avec ma fierté, car aucune d’entre elles ne m’accompagnent présentement. Finalement, je viens à bout de venir à bout, sans grand éclat, mais ce n’est pas grave, car quand on le regarde à la télévision, le plaisir semble décupler.

Popcorn, croustilles, RC Cola, c’est soir de grande première! Je nous déroule un tapis rouge bruni par l’amertume des jours qui nous conduit jusqu’au divan épuisé et défraîchi. Déçu, je constate que ma douce n’a pas mis sa tenue de gala. Comme ils le font au Festival de la Canne, je présente le réalisateur du film en bonne et due forme, et ce dernier parle de sa démarche créative se cachant derrière l’oeuvre. La réaction du public est mitigée, mais la fébrilité de celui-ci est palpable. Je préviens l’auditoire qu’il doit fermer son téléphone portable par respect et j’active la mise en marche.

Voyant cette jungle hirsute fuser de ma verticale raie, je ne me reconnais pas au premier coup d’œil. Ce n’est pas un angle auquel je suis habituellement confiné et, honnêtement, je m’en serais bien passé. Je décide donc de focaliser sur le corps de ma femme qui, malgré les trois enfants que nous avons eus… mmm… non ça paraît que ce corps a expulsé à plusieurs reprises en fin de compte. Une rotule… ou une malléole… difficile à dire, vient obstruer l’objectif quelques instants, mais le son nous confirme que les acteurs semblent vivre le moment présent dans la convenance. Le zoom brutal de ma frontale propose les narines bien trimées de mon épouse, signe de grand professionnalisme de sa part. Je n’ai pas l’habitude de lancer des fleurs, mais sa prestation frôle l’Oscar. La fin approche, mais dans un élan de « perte de contrôle de mes articulations », le cellulaire, initialement bien en place, ne nous regardait plus. C’est donc sur un fond d’image de demi-plancher demi-porte de garde-robe que l’on entend mon monologue jouissif.

Les critiques seront sévères à mon endroit demain, je le sais. C’est une jungle féroce, sans pitié que celle des arts. Mais comme tout bon artiste vivant son premier échec, je me retrousserai les manches et je me réconforte sachant que je ferai mieux lors du tournage de la suite. En attendant, je regarde seul les scènes inédites de ma première production tout en m’imprégnant des commentaires enrichissants du réalisateur. Il n’est pas donné à tous de reconnaître un talent brut. Talent que je façonnerai au rythme de mes expériences, de mes ratés, de mes revers, de mes embûches, de mes erreurs et desquels je souhaite voir jaillir et étinceler un jour le plus poli des diamants.

 

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