Les révolutions

Elle est réapparue dans ma vie. Après un mois et demi de silence, le souvenir d’elle s’estompant de ma mémoire comme un navire disparaissant à l’horizon.

Elle est là. Surgissante. Avec la violence que ça comporte. Une bataille intérieure entre le bonheur éclatant et une vive douleur. L’envie irrépressible de s’entredévorer. Et sentir une force dans son ventre à elle voulant me dévorer en retour et la lutte de réprimer ce désir fulgurant.

« J’ai terriblement envie de toi. De t’embrasser. De te faire l’amour. Tendrement. Sauvagement. »

Elle s’efforce de ne pas me regarder. Ça lui chatouille au fond du ventre. Mais pas au fond du cœur. Elle est en proie à ses désirs.

« Non. On ne peut pas… »

Mais il est trop tard. Je sais quoi dire. Je sais quoi faire. Comment la prendre.

On marche tranquillement au parc La Fontaine, pris de secousses de fous rires incontrôlables au travers de nos élans d’enfin se retrouver, de rattraper le temps perdu, de raccorder les fils. Les mots se bousculent, les questions se cascadent. Deux êtres humains heureux de se retrouver, le pied sur le frein.

Après la joie de s’être retrouvés, après la marche, après le banc de parc devant le lac artificiel : une accolade profonde. Nos corps à vif enfin calmés par le contact de l’autre. Son odeur. Sa chaleur. Sa peau. Ses cheveux. Sa tête contre ma poitrine. Un bonheur désespérant.

On s’en tient à ce simple contact physique. Mais déjà en moi tout s’effondre. Le lendemain matin, je l’appelle. Je ne peux pas ne pas te prendre. Elle dit non et crie silencieusement un oui terrifiant. Je dis : « OK… »

Ça cogne à sa porte. Elle ouvre. C’est moi. Beau. Irrésistible. Moi qui viens lui faire l’amour. Qui accepte de rouvrir mes plaies à vif. C’est mon choix. Ça m’appartient. Je n’ai pas la force de résister, mais j’aurai celle de me réparer. Laisse-moi me faire mal jusqu’au bout.

Nous faisons l’amour comme si la fin du monde était ce soir. Avec force et nostalgie. Tu n’es pas un monstre. Tu n’es pas mon bourreau. Tu n’es pas faible. Tu es humaine. Tu es belle.

Deux semaines passent. Je tremble. Je suis à la case départ. Je suis en ruine. Tout fout le camp. Je me suis remis bien en place sur ma tablette, attendant d’être pris à nouveau. Je me suis mis tout seul sur cette tablette. Cette tablette vide. Poussiéreuse. Où je suis seul. Terriblement seul. Isolé.

Mais… mais non! Pas tout à fait. Dans un élan de détresse, dans ce moment où je me débats contre moi-même, mon désespoir et mes rêves vains, après avoir lutté, abandonné, vidé toutes les larmes de mon corps, c’est l’après-midi, il fait soleil, je me retrouve dans le noir de ma chambre, les rideaux tirés, et je m’endors instantanément, épuisé, remis à zéro. Quelques heures de profond sommeil. Mes yeux soudainement grands ouverts. Quelque chose va arriver. Une intuition vive.

Le tintement de mon téléphone. Quelqu’un. Quelqu’un qui pense à moi. Qui s’insère dans le calme. Une lumière qui surgit. Et je sais que ce n’est pas elle. C’est l’autre. Cette nouvelle elle. Cette elle qui m’écrit. Qui m’invite. Qui me tend la main. Cette elle qui est apparue dans ma vie il n’y a que trop peu de temps et dont j’ai voulu devenir la lune. Je me relève. Je me redresse. Je prends cette main. Sans aucune hésitation. Je me lance dans le vide nouveau.

Ce n’est pas pour rien qu’elle est apparue à ce moment sombre. C’est là que je dois aller. C’est une certitude. Et là où mon imagination se faisait couper les ailes par le désespoir, tout à coup, tout se réactive avec aisance. Je reprends mon envol. Avec surprise. Avec plaisir. Je lui réponds et accepte d’écrire avec elle le début de notre histoire…

***

Je me permets de ne pas révéler les détails de mes débuts avec elle. Je n’ai pas de recul, et ces détails nous appartiennent encore précieusement. Tout ce que je peux dire, c’est que quelque chose est en train de se tisser entre nous, avec tout le vertige et les balbutiements qui l’accompagnent.

Parallèlement, j’ai revu celle pour qui je m’oubliais sur une tablette. Elle est apparue à ma porte. Nous nous sommes timidement rapprochés. Nous avons rapproché notre peau, nos bouches, nos mains, nos souffles. Mais. Non. Quelque chose d’éteint. Disparu. Nous retrouvant déconcertés. Mais surtout soulagés. Cet amour a été consommé. C’est maintenant terminé. Je ne sais en quoi il va pouvoir se mouvoir à présent, mais à toi, je dis merci. Merci de me laisser partir. Merci pour ta tendresse. Merci pour le bout de chemin. Merci de nous être laissés vivre. De nous être laissés s’accorder le battement de nos cœurs affolés. Ce sont de ces petites révolutions dont nos vies sont façonnées.

[Source de l’image: Unsplash]

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